L’essentiel

Prix de l’eau : de quoi parle-t-on ?

L’eau est souvent perçue comme un bien fourni gratuitement par la nature. L’idée même de payer un bien gratuit paraît donc discutable. En réalité, le prix qui apparaît sur la facture d’eau n’a que très peu de choses à voir avec le prix de la matière première. Ce prix est en effet celui nécessaire pour protéger et capter la ressource, rendre l’eau potable, la distribuer dans tous les appartements et toutes les maisons, puis, le cas échéant, la récupérer dans un système d’assainissement et la rejeter au milieu naturel après l’avoir épurée. On devrait donc parler de « prix du service de distribution d’eau et d’assainissement » et non de « prix de l’eau ».

Quel est le prix moyen en France ?

Selon le rapport de l’ONEMA de février 2012 réalisé dans le cadre de l’observatoire national des services publics de l’eau et de l’assainissement, le prix moyen des services d’eau et d’assainissement s’élevait en 2009 à 3,62 €TTC/m³. Cela représente une facture moyenne annuelle de 434 € pour une consommation de 120 m³, soit une dépense mensuelle de 36 € par ménage. Cependant, cette moyenne cache des disparités, puisque le prix est compris dans une fourchette allant de moins d’un euro à plus de 6 euros par m³.

L’eau est-elle chère ?

Le prix d’un litre d’eau potable est 200 fois plus faible que celui d’un litre d’eau en bouteille. Le service de distribution d’eau et d’assainissement est par ailleurs remarquablement efficace : il permet de livrer une tonne de produit, à la qualité garantie, à n’importe quel étage, puis de l’évacuer après usage et de la restituer au milieu naturel, après l’avoir épurée, pour à peine plus de 3 euros !
Le poste de dépenses « eau et assainissement » représente environ 1,25% du revenu disponible moyen d’un ménage. Ce poste de dépense est par exemple inférieur à celui consacré au téléphone. Il paraît donc peu élevé par rapport au service rendu. On accepte en effet de payer autant, voire plus, pour des postes beaucoup moins vitaux.

Le prix des services d’eau et d’assainissement est-il abordable pour tous ?

Malheureusement, même à ce tarif, les catégories socio-économiques les plus vulnérables de la population française ont des difficultés d’accès à l’eau. En effet, pour les 10% des ménages les moins aisés, le poste de dépenses « eau et assainissement » dépasse le seuil des 3%, considéré comme le critère de difficulté d’accès à l’eau. Cette situation est inquiétante et justifie la mise en œuvre de mesures sociales (dont des tarifications sociales adaptées). L’accès à une eau de qualité est en effet un élément indispensable de santé publique et de dignité humaine.

Le mode de tarification est-il incontestable ?

Les modalités actuelles de comptage sont généralement basées sur l’hypothèse que le volume d’eau évacué est le même que le volume d’eau potable consommé, même si la loi sur l’eau de 2006 prévoit la possibilité de comptages séparés. Ceci peut poser des questions d’équité pour le financement de l’assainissement, par exemple pour les personnes qui utilisent des eaux pluviales récupérées ou des eaux provenant d’un puits pour alimenter leurs chasses d’eau [1].
La logique de tarification, d’ailleurs contrainte par la loi, est surtout destinée à inciter les usagers à limiter leur consommation. Elle sous-estime souvent la part fixe au détriment de la part proportionnelle au volume consommé (en moyenne la part fixe représente 80% des coûts et seulement 15% des recettes). Cette logique de tarification, associée à la baisse importante observée des consommations, peut remettre en cause la durabilité du service. Globalement les recettes des services d’eau et d’assainissement diminuent, alors que les besoins de financement pour maintenir le patrimoine en état ou pour améliorer l’efficacité de traitement des eaux usées augmentent.

[1L’injustice est plutôt pour le service d’assainissement : si ces usagers n’installent pas de comptage et ne déclarent pas leurs ressources privées, comme la loi les y oblige, ils privent le service d’assainissement d’une recette venant équilibrer les charges induites par leurs rejets dans le réseau.

Que signifie vraiment "prix de l’eau" ?

Que paye-t-on sur sa facture d’eau ?

La facture se décompose en trois postes principaux :

  • Le premier poste est le seul strictement relatif à l’eau potable. Il intègre le captage, la potabilisation, le stockage et la distribution de l’eau. Il représente 40% en moyenne nationale.
  • Le deuxième couvre les dépenses associées à la collecte, à l’évacuation et au traitement des eaux usées. Il n’existe que si la commune dispose d’un réseau d’assainissement collectif ou a mis en place un service public d’assainissement non collectif (SPANC). Ce poste représente également 40% en moyenne nationale, mais il augmente plus vite.
  • Le troisième correspond à la perception de taxes (dont la TVA) ou de redevances pour le compte d’organismes tiers. Une partie importante du produit de ces taxes est destiné à la préservation des milieux aquatiques, à la protection de la ressource ou à la préservation du patrimoine (principalement redevances pollution, modernisation des réseaux de collecte, prélèvement sur la ressource en eau). Ce poste représente 20% en moyenne nationale.

Il n’est donc pas juste de parler de « prix de l’eau ». On devrait plutôt parler de « prix du service de distribution d’eau et d’assainissement ».

Quel est le prix de l’eau en France ?

Quel est le prix moyen payé en France pour la facture d’eau ?

La base de données nationale SISPEA compile l’ensemble des données sur l’eau et en particulier celles fournies par les communes sur les prix facturés. [1]
Comme une partie des prix est fixe (par exemple le prix de l’abonnement) et que le tarif facturé par m³ peut être variable en fonction de la quantité consommée (voir § « le mode de tarification est-il pertinent ? »), les données sont comparées par convention sur la base d’une consommation théorique de 120m³ par an. Ce volume correspond à la consommation moyenne théorique d’une famille. Ce chiffre doit être relativisé car la consommation réelle est en baisse constante.
Selon le rapport de l’ONEMA [2] de février 2013 issu des données de la base nationale SISPEA, le prix moyen des services d’eau et d’assainissement s’élevait au 1er janvier 2010 à 3,62 €TTC/m³. Cela représente une facture moyenne annuelle de 434 € pour une consommation de 120 m³, soit une dépense mensuelle de 36 € par ménage. Cependant, cette moyenne cache des disparités puisque le prix est compris dans une fourchette allant de moins d’un euro à plus de 6 euros par m³.

Le prix est-il le même partout ?

Le cadre réglementaire européen stipule que la fourniture d’eau potable et l’évacuation des eaux usées constituent des services commerciaux qui doivent être budgétairement équilibrés, ce que l’on simplifie dans la formule « l’eau doit payer l’eau ». L’usager de l’eau est donc en théorie un client qui paye strictement le service fait, plus une marge bénéficiaire connue lorsque le gestionnaire est privé. Ce principe impose de fait que le prix varie selon les sites, selon la plus ou moins bonne disponibilité de la ressource, l’état des infrastructures et les travaux à entreprendre, la densité de la population, etc..
Ainsi, en 2008 les départements de la Réunion, la Guyane, les Alpes-de-Haute-Provence, l’Ain, le Cantal et le Jura présentaient en moyenne un prix inférieur à 2,50 € par m³, tandis que les prix supérieurs à 4 € par m³ se trouvaient en Seine-et-Marne, dans les départements bretons, dans la Manche, en Vendée, ainsi qu’en Guadeloupe et en Martinique.
Ces prix ne sont cependant pas comparables s’ils n’intègrent pas les mêmes services : un prix de l’eau potable seul ne peut être comparé à un prix qui tient compte de l’eau potable et de l’assainissement collectif.
La réglementation impose aujourd’hui une grande transparence dans le prix de l’eau. La base de données SISPEA fournit un accès simple et direct au prix des services d’eau et d’assainissement, commune par communeTéléchargeable sous http://www.services.eaufrance.fr/synthese/rapports
Ou :http://www.services.eaufrance.fr/base/recherche/geo/prix-eau-assainissement
].
Tous les services n’ont cependant pas encore transmis les informations pour les communes qu’ils représentent.

Le prix des services d’eau et d’assainissement est-il trop élevé ?

Cette question est trop générale pour que l’on puisse lui donner une réponse unique.
En termes économiques, l’évaluation du caractère excessif du prix d’un produit ou d’un service dépend de deux choses :

  • Le coût (dépenses) et le prix du service qui en résulte (c’est la question du juste prix) ;
  • le niveau de revenu des ménages (c’est la question de l’accessibilité financière).

Comment peut-on caractériser un prix trop élevé pour un service ?

De façon pragmatique, un grand nombre de critères peuvent être utilisés pour caractériser une eau trop chère (voir par exemple le livre d’Henri Smet).

  • Le prix peut être abusif  : l’eau paye plus que l’eau, le prix excède de façon importante les frais réels engagés pour produire le service.
  • Le prix peut être inadapté : le montant facturé est trop élevé par rapport au service effectivement rendu.
  • Le prix peut être excessif : les moyens mis en œuvre pour rendre le service sont inefficaces ; l’utilisation d’une autre ressource ou d’une autre technologie permettrait de le réduire.
  • Le prix peut être inabordable : les personnes avec des ressources faibles n’ont pas la capacité financière suffisante pour accéder au service.
  • L’évolution du prix peut être inacceptable : le prix du service augmente beaucoup plus rapidement que celui des autres prix.

Ces différents critères sont développés dans les paragraphes suivants.

Le prix des services d’eau et d’assainissement est-il abusif ?

La question de base est la suivante : le prix excède-t-il de façon importante les frais réels engagés pour produire le service ? La question complémentaire, plus polémique, est la suivante : dans le cas d’une délégation de service, la compagnie privée qui assure le service d’eau et d’assainissement fait-elle des bénéfices exorbitants ?
Cette question paraît normale à poser si l’on observe que beaucoup de villes qui viennent de renégocier les contrats avec leur gestionnaire ou de reprendre le service en régie directe ont baissé de façon significative le montant de la facture d’eau.

Y-a-t-il un lien simple entre un bénéfice excessif et un prix abusif du service ?

Observons tout d’abord que le recours à un gestionnaire privé induit de fait le principe d’une marge bénéficiaire. Définir ce que devrait être un bénéfice « acceptable et raisonnable » est une question pour laquelle on ne dispose guère d’éléments de réponse, compte-tenu des difficultés d’accès aux données financières des gestionnaires privés et de l’absence de débat démocratique sur la question. Les contrats de délégation actuels ont cependant le mérite de permettre un affichage clair de la marge bénéficiaire.
Observons ensuite qu’un bénéfice de 1% sur un marché de près de 12 milliards d’euros représente une somme considérable de plus de 120 millions d’euros et qu’il n’est donc pas nécessaire de faire une très grosse marge pour dégager des revenus confortables. Exprimé de façon différente, compte tenu de la variabilité du coût du service d’eau et d’assainissement, une marge bénéficiaire même forte et excessive ne va pas obligatoirement se traduire par un renchérissement facilement visible du prix facturé.
Le bénéfice peut donc être excessif sans que le prix ne paraisse abusif et réciproquement.
Nous ne répondrons donc pas ici de façon générale à la question du bénéfice exorbitant, qui doit être analysée au cas par cas en fonction du contexte local. Les outils réglementaires actuels permettent aux collectivités locales et aux usagers d’analyser en détail les dépenses effectivement engagées et de s’assurer que le prix facturé est « raisonnable » par rapport à ces dépenses.

Le prix des services d’eau et d’assainissement est-il inadapté ?

Le montant facturé est-il trop élevé par rapport au service effectivement rendu ?

Les services d’eau et d’assainissement constituent à l’évidence des services essentiels en termes de santé publique, de dignité humaine et de confort de vie. Or le poste de dépenses « eau et assainissement » représente seulement 1,25% du revenu disponible moyen d’un ménage. Même s’il atteint 3% pour les 10% des ménages les moins aisés, il reste très inférieur à beaucoup d’autres postes beaucoup moins indispensables à la vie. A titre comparatif, la dépense annuelle moyenne par ménage pour les services d’eau et d’assainissement est inférieure à celle consacrée aux postes « tabac et produits connexes » ou « boissons alcoolisées » ou encore à celle consacrée au téléphone .

Le prix d’un litre d’eau du robinet est-il élevé par rapport au prix d’un litre d’eau en bouteille ?

Une autre comparaison intéressante consiste à mettre en parallèle le prix payé pour l’eau du robinet avec celui payé pour l’eau en bouteille :

  • Le prix moyen payé en France, pour disposer d’un litre d’eau de qualité contrôlée au robinet de son appartement est de 0,19 centimes d’euros le litre (0,0019 €) ; 0,339 centimes d’euros le litre si on intègre le prix de l’assainissement.
  • Le prix moyen d’un litre d’eau en bouteille varie, selon les marques, les lieux d’achat et les modalités de calcul, entre 30 et 50 centimes d’euros, soit de l’ordre de 200 fois plus. Et pour ce prix, on doit encore acheminer soi-même l’eau à son domicile et le coût de traitement ou de recyclage de la bouteille n’est pas vraiment pris en compte.

Un tel écart de prix pour un aussi faible écart de qualité n’existe pratiquement sur aucun autre produit, excepté peut-être pour le vin, mais les vins "hors de prix" restent rares.
La réponse à cette question est donc plus simple que pour la précédente : le prix payé ne semble pas élevé par rapport au service rendu.

Le prix des services d’eau et d’assainissement est-il excessif ?

Les moyens mis en œuvre pour rendre le service sont-ils réellement efficaces ? L’utilisation d’une autre ressource ou d’une autre technologie permettrait-elle de le réduire ?
Cette question est souvent posée de la façon suivante :

Est-il logique et raisonnable d’utiliser de l’eau potable pour alimenter sa chasse d’eau ou laver sa voiture ?

Même si c’est extrêmement surprenant, la réponse à cette question est souvent oui, il est dans de nombreux cas logique et raisonnable d’utiliser de l’eau potable pour alimenter sa chasse d’eau ou laver sa voiture !
La raison de cet apparent paradoxe est finalement assez simple. Le surcout nécessaire pour transformer une eau brute en eau potable est très faible et n’intervient que marginalement dans le coût du service. L’essentiel des dépenses est associé à l’amortissement et au fonctionnement du réseau de transport et de distribution. Il couterait presque toujours beaucoup plus cher à la collectivité de construire et de maintenir deux réseaux, un d’eau potable et l’autre d’eau non potable.
Il peut en revanche être très pertinent de développer l’utilisation d’autres ressources ne nécessitant pas d’infrastructure importante pour certains usages (par exemple récupérer les eaux de toitures pour arroser son jardin ou les espaces verts collectifs).

Pourrait-on imaginer d’autres dispositifs techniques qui fourniraient le même service pour un coût, donc un prix, plus faible ?

Une façon d’aborder cette question consiste à raisonner en coût par unité de poids pour des produits facilement disponibles. Cette approche est raisonnable car le coût d’acheminement constitue un facteur majeur du coût total du service d’eau et d’assainissement. Elle permet de s’abstraire du contexte et de raisonner plus librement.
Une analogie simple consiste par exemple à se demander quel dispositif technique il faudrait inventer qui permette de creuser un trou quelque part dans le sol de la ville, puis de tamiser une tonne de terre, de la monter au huitième étage, ensuite de la redescendre, de reboucher le trou et de remettre le terrain en état pour un prix de revient de l’ordre de 3€.
De toute évidence, il n’existe pas de solution simple à ce problème.
Le dispositif technique qui assure la production, le traitement et la distribution de l’eau potable, puis la collecte, l’évacuation et l’épuration des eaux usées est en réalité remarquablement efficace et le coût apparent, nécessaire pour rendre ce service et répercuté sur le prix facturé, est très bas.
Ceci ne signifie pas qu’il soit impossible d’optimiser et de limiter certains coûts ; par exemple :

  • Mutualiser les ressources en eau potable et mailler les réseaux permet parfois de limiter les coûts d’exploitation de ressources non rentables (trop éloignées ou multiples) ;
  • Selon le contexte géographique, des solutions d’assainissement individuelles peuvent être plus économiques (et tout aussi efficaces) que le raccordement systématique à un réseau d’assainissement collectif centralisé ;
  • Etc. Il ne faut cependant pas attendre de ce type de mesure une diminution importante et généralisée des coûts.

L’ensemble des coûts sont-ils effectivement pris en compte ?

Le service repose sur un patrimoine d’infrastructures très développé qui s’est constitué principalement au cours du XXème siècle en mobilisant des ressources financières diverses et importantes. Or ce patrimoine vieillit et la question de sa réhabilitation, voire de son renouvellement, se pose. En vertu du principe « l’eau paye l’eau », les frais associés devraient être supportés sur la facturation du service. Or, dans la plupart des collectivités c’est très loin d’être le cas et le poste « modernisation des réseaux » est souvent absent, ou en tout cas insuffisant, pour assurer un simple maintien en état du patrimoine. C’est donc une dette que nous transmettons à nos enfants et à nos petits-enfants.

Le prix des services d’eau et d’assainissement est-il abordable ?

Cette question est tout aussi importante que les précédentes. Sa nature est cependant totalement différente. Tout le monde est d’accord sur le fait que l’accès à des services d’eau et d’assainissement constitue un facteur essentiel de santé publique et de dignité humaine. Le prix de ces services ne devrait donc pas être tel qu’il en interdit l’accès à certaines populations.

Le prix des services d’eau et d’assainissement est-il abordable partout dans le monde ?

Une réalité également assez bien connue est qu’à une échelle planétaire, l’accès à ces services est loin d’être la règle. Les études les plus récentes faites au moment du forum sur l’eau de Marseille en 2012 montrent que « plus de 1,9 milliards de personnes n’ont d’autres choix que de boire une eau dangereuse pour leur santé. Le nombre de celles qui boivent une eau de qualité douteuse dépasse les 3 milliards, soit près de la moitié de la planète » (voir l’ouvrage de Gérard Payen : « de l’eau pour tous »). Le nombre de personnes qui n’ont pas accès à des installations sanitaires minimum est du même ordre de grandeur. Selon l’OMS, les maladies hydriques (dues à l’ingestion d’eau non potable ou au contact avec de l’eau souillée) sont l’une des premières causes de mortalité dans le monde avec près de 3,6 millions de victimes par an, majoritairement des bébés et des enfants jeunes. Si l’on intègre les maladies parasitaires associées aux milieux aquatiques (en particulier la malaria) ce chiffre atteint les 8 millions.
La raison première de cette situation catastrophique est qu’un nombre important de personnes n’ont pas la capacité de payer les coûts nécessaires à la fourniture d’un service d’eau et d’assainissement minimum. Pour l’instant, dans beaucoup de régions du monde, la seule solution réside dans l’aide et l’assistanat, ce qui, malheureusement ne constitue pas une solution réellement durable.

Le prix des services d’eau et d’assainissement est-il abordable pour tous en France ?

On pourrait penser que ce problème ne concerne pas la France qui bénéficie d’infrastructures suffisantes en quantité et en qualité pour apporter à tous un service suffisant. La réalité est cependant différente. Le rapport rédigé dans le cadre du protocole sur l’eau et la santé des Nations Unis montre qu’en France métropolitaine, près de 2% de la population ont des difficultés d’accès à l’eau. Même s’il s’agit essentiellement de groupes vulnérables (bénéficiaires des minimas sociaux, travailleurs pauvres) ou marginalisés (gens du voyage, SDF), cette situation est inquiétante et justifie la mise en œuvre de tarifications adaptées ou le développement de moyens spécifiques d’accès à l’eau.

L’évolution du prix des services d’eau et d’assainissement est-il acceptable ?

De 2004 à 2008, le prix moyen des services d’eau et d’assainissement a augmenté de 3,3 % par an, soit une croissance nettement plus élevée que la hausse de l’indice des prix à la consommation de l’ensemble des ménages qui a été de 1,9 % par an. La hausse la plus sensible en valeur concerne le prix de l’assainissement (+3,7 % par an entre 2004 et 2008). La part de l’assainissement dans le prix du service d’eau et d’assainissement en 2008 était de 53 % (en incluant les redevances pollution), et dépasse donc celle de l’eau potable.
Il est souvent avancé que cette évolution reflète l’amortissement des coûts de mise aux normes progressive des stations d’épuration selon la législation européenne et l’extension de l’assainissement collectif.
Elle pose cependant un vrai problème d’acceptabilité, en particulier si elle doit se poursuivre dans les années à venir et justifie un vrai débat sur le prix des services d’eau et d’assainissement.

Que penser du mode de tarification ?

Le mode de tarification est-il équitable ?

Que signifie une tarification équitable ?

Il est très difficile de définir ce qu’est un tarif « équitable ». Deux hypothèses très différentes s‘opposent :

  • L’hypothèse qui est actuellement privilégiée par la réglementation est que le service d’eau est un service marchand (« l’eau doit payer l’eau »). En appliquant strictement cette hypothèse, le tarif est équitable si chaque usager paye en fonction de ce que le gestionnaire doit effectivement dépenser pour lui fournir le service. Ceci suppose que si le coût du service rendu est plus élevé pour une catégorie donnée d’usager (par exemple si la longueur de tuyau nécessaire pour desservir l’usager est plus grande), alors, il est normal que l’usager paye un prix plus élevé au m3 d’eau consommé.
  • L’hypothèse alternative est que le service d’eau est un service public et que, en conséquence, chaque usager doit payer la même somme si le service rendu est identique (critère d’égalité de traitement au regard du service rendu). Ceci suppose que ceux pour lesquels le coût du service est moins élevé soient surfacturés de façon à permettre à ceux pour lesquels le service est plus difficile à rendre de bénéficier du même tarif. Il s’agit donc d’une plus grande mutualisation qui peut apparaître plus normale et plus équitable.

Comment gérer les solidarités entre les territoires ?

La réalité de la tarification est un intermédiaire entre ces deux positions extrêmes :

  • A l’intérieur d’un même territoire administratif, les règles de facturation sont les mêmes et chacun paye le service d’eau au même tarif.
  • Pour deux territoires voisins gérés par des services différents, c’est la règle "l’eau doit payer l’eau" qui s’applique et les tarifs peuvent être très différents selon la plus ou moins grande facilité d’accès à la ressource.

Plus la taille du territoire est grande, plus il est possible de bénéficier d’économies d’échelle qui permettent une réduction des coûts unitaires du service et plus les tarifs sont homogènes du fait de la péréquation effectuée pour appliquer à chaque usager le même tarif.
Le choix des limites administratives du territoire au sein duquel on gère le service d’eau et d’assainissement est donc en fait un choix éminemment politique de mutualisation et de solidarité entre les collectivités.

Le mode de tarification est-il juste ?

Même si les mots « équitable » et « juste » peuvent être considérés comme des synonymes, nous traitons dans ce paragraphe d’un aspect très différent. Il s’agit de la justesse de la mesure des volumes pris en compte pour la facturation.
Nous ne discutons pas de la justesse spécifique du compteur d’eau potable, mais de l’hypothèse forte selon laquelle le volume annuel évacué dans le réseau d’assainissement est identique au volume consommé, tel qu’il est mesuré sur ce compteur. La conséquence de cette hypothèse est forte car la part relative à l’assainissement est au moins équivalente à celle relative à l’eau potable.
On comprend bien la logique de cette hypothèse qui évite d’installer un second compteur, plus difficile à concevoir sur le plan technique, sur le réseau d’évacuation. Il est en effet assez évident que les volumes rejetés doivent être, dans la plupart des cas, assez proches des volumes consommés.
Ceci n’est cependant pas toujours vrai. L’eau utilisée pour l’arrosage par exemple n’est pas évacuée par le système d’assainissement et il n’y a aucune raison de payer des frais pour son assainissement. A l’opposé, si un usager récupère les eaux de pluie de sa toiture ou utilise l’eau de son puits pour alimenter sa chasse d’eau ou sa machine à laver, il évacue des eaux qui ne sont pas passées par le compteur d’eau potable mais qui doivent pourtant être assainies.
La loi sur l’eau de 2006 a prévu de répondre à ces différentes situations. Elle permet la mise en place, à la demande de l’usager, de compteurs « verts » qui ne seront pas pris en compte pour la tarification de l’assainissement. Elle impose la mise en place de compteurs sur les ressources privées qui permettront, au contraire, de prendre en compte les volumes complémentaires rejetés pour l’assainissement. Cependant l’application de ces dispositions est encore loin d’être effective.

Le mode de tarification est-il pertinent ?

Que signifie un tarif pertinent ?

Le principe selon lequel l’eau paye l’eau induit l’obligation de répercuter globalement l’ensemble des dépenses dans le coût facturé. Il est cependant possible de jouer sur la structure tarifaire pour atteindre des objectifs divers :

  • Economiques (par exemple faciliter la facturation et le recouvrement) ;
  • Environnementaux (par exemple diminuer la consommation d’eau et préserver les ressources) ;
  • Sociaux (permettre l’accès au service à toutes les catégories sociales) ;
  • Etc.

Nous ne discuterons pas ici ces différents éléments qui ressortent de choix politiques au sens le plus noble du terme. Nous nous contenterons de donner des éléments de réflexion sur la plus ou moins grande pertinence des grilles tarifaires, en considérant que la tarification est pertinente si les règles de calcul du tarif tiennent compte « avec pertinence » de la structure des coûts.

Est-il pertinent de limiter la part fixe ou d’avoir des tarifs progressifs ?

La question de la pertinence des tarifs est particulièrement importante en ce qui concerne le partage entre les coûts fixes et les coûts variables eu-égard à l’assiette de facturation des services (le nombre d’usagers à desservir) : plus le nombre d’usagers à desservir est important, plus il est facile pour le service d’amortir ses coûts fixes et plus il dispose de marges de manœuvre sur le plan tarifaire)
L’essentiel des dépenses à couvrir n’est pas directement lié aux quantités d’eau produites ou traitées, mais à des coûts fixes qui en sont indépendants et qui représentent souvent entre 80% et 90% de la dépense totale.
La logique voudrait donc que la part fixe, indépendante de la quantité consommée, représente au moins 80% du montant à payer.
Dans la réalité, on est très loin de ce partage. En 2008, sur une facture moyenne d’environ 400 € pour un ménage type (120 m3 d’eau consommée par an), la part fixe (souvent associée strictement à l’abonnement) était de 60 € en moyenne (variant de 36 € en Île-de-France à 127 € en Corse), soit de l’ordre de 15% en moyenne. L’arrêté du 6 août 2007 modifié limite d’ailleurs le montant maximum de la part fixe à une valeur plafond correspondant « … à 40 % du coût du service pour une consommation d’eau de 120 mètres cubes, par logement desservi et pour une durée de douze mois, tant pour l’eau que pour l’assainissement. »
Au regard du seul critère de la prépondérance des coûts fixes, il serait également logique d’appliquer un tarif dégressif (plus on consomme et moins on paye cher le m3).
La réalité des tarifs est très différente, car la loi sur l’eau impose par défaut (sauf contexte dérogatoire) une part variable, fixe ou progressive visant principalement à maitriser les prélèvements. Le prix du m3 d’eau peut ainsi être constant quel que soit le volume consommé. Il peut également augmenter par tranches de consommation.

Les grilles tarifaires actuelles peuvent-elles poser problème ?

Ces politiques tarifaires multiformes s’expliquent facilement par la diversité des objectifs pris en compte pour fixer les tarifs et en particulier la volonté de généraliser les économies d’eau. Elles peuvent parfaitement se comprendre et se défendre.
Il est cependant nécessaire de les réinterroger au regard des enjeux de durabilité économique, environnementale et sociale. En effet, le coût global de fonctionnement du service n’est que peu affecté par les variations de la consommation, alors que les recettes en dépendent directement. Par exemple, un calcul basique montre qu’une diminution, tout à fait possible dans les années à venir, de 10% de la quantité d’eau consommée, réduirait de 7 à 9 % les ressources financières, mais seulement de 1 à 2 % les dépenses.
L’équilibre budgétaire serait alors impossible à assurer, sauf en augmentant le prix facturé par mètre cube d’eau consommée.

Faut-il augmenter le prix des services d’eau et d’assainissement ?

La question peut paraître provocatrice, mais elle est d’actualité (voir par exemple les travaux du Comité National de l’Eau).
Si les consommations continuent à baisser (ce qui est une bonne chose), si l’on souhaite continuer à garantir le service et donc maintenir le système (ce qui paraît être une nécessité) et si les exigences augmentent, aussi bien en ce qui concerne la qualité de l’eau distribuée que le niveau de protection des milieux naturels (ce qui est aussi une bonne chose), il sera nécessaire de trouver de nouvelles ressources financières.
Les vraies questions sont donc les suivantes :

  • Quelle valeur attribuons-nous à l’eau ?
  • Quels efforts sommes-nous prêts à faire pour transmettre aux générations futures un patrimoine hydrologique naturel et un patrimoine technique d’au moins aussi bonne qualité que ceux que nous avons reçus en héritage ?
  • Comment voulons-nous financer ces efforts ?

Pour en savoir plus

  • Document rédigé par Bernard Chocat (LGCIE – INSA Lyon)
  • Relecteurs : Marie Tsanga Tabi et Caty Werey (IRSTEA UMR GESTE), Eric Bréjoux (Onema)

Ouvrages de référence

  • Camdessus Michel, Badré Bertrand, Chéret Ivan, Ténière-Buchot Pierre-Frédéric (2004) : « Eau » ; ed Robert Lafond, Paris, 290 pp
  • CEENU, 2012. « Aucun laissé-pour-compte, Bonnes pratiques pour un accès équitable à l’eau et à l’assainissement dans la région paneuropéenne » ; rapport de la commission économique pour l’Europe des Nations Unies. Site web : http://www.unece.org/env/water
  • Comité National de l’Eau (2013) : « Comment améliorer le financement et la durabilité des services publics d’eau et d’assainissement français ? » ouvrage collectif rédigé par le comité consultatif sur le prix et la qualité des services publics d’eau et d’assainissement. Disponible sur internet : http://www.comitenationaldeleau.fr/webfm_send/771
  • Smet Henri (2009) : « De l’eau potable à un prix abordable » ; éditions Johanet ; 288pp.

Sites WEB où trouver des statistiques sur le prix des services d’eau et d’assainissement

Sites WEB de référence

  • http://www.developpement-durable.gouv.fr : le site du Ministère de l’écologie, en charge, au nom de l’Etat français, de la politique nationale de l’eau en cohérence avec les directives européennes. Site d’informations très complet.
  • http://www.lesagencesdeleau.fr : portail des sites des agences de l’eau.
  • http://www.oieau.fr : site de l’office international de l’eau, avec en particulier un portail d’information et de documentation sur l’eau (EAUDOC©).
  • http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau : informations à caractère scientifique, présentation pédagogique et très complète.
  • http://www.onema.fr : informations scientifiques et techniques sur l’état de l’eau et le fonctionnement des milieux aquatiques
  • http://www.graie.org : informations techniques, principalement sur la gestion des eaux pluviales urbaines, l’assainissement autonome et la gestion des rivières.