Les villes se sont souvent construites autour d’un cours d’eau. Au fil des années, elles ont progressivement aménagé ses berges et ses abords immédiats pour récupérer des espaces plats, continus, agréables et faciles à urbaniser.
Pourtant ces espaces ne sont pas sans risques. Le lit majeur constitue l’espace naturel d’expansion de la rivière lors des crues. Ce territoire est donc logiquement inondé régulièrement. Les aménagements peuvent le protéger contre les crues les plus fréquentes mais pas contre les crues exceptionnelles.
Par ailleurs, les abords des rivières constituent des écosystèmes extrêmement importants pour assurer un fonctionnement correct des rivières. Au-delà de leurs fonctions biologiques, ils assurent des fonctions indispensables pour préserver les usages que l’homme souhaite faire de la rivière : alimentation en eau, atténuation des extrêmes hydrologiques (crues et étiages), réalimentation des nappes, etc..
Sur le plan écologique, les corridors « verts et bleus » associés aux rivières permettent également d’assurer la continuité entre l’amont et l’aval des villes.
Préserver ces espaces, y compris dans les villes, et leur permettre de continuer à assurer leurs fonctions écologiques est donc extrêmement important, aussi bien pour la nature que pour un grand nombre d’usages de l’eau.
Malgré les difficultés que ce choix comporte, nous n’avons donc pas le choix. Nous devons impérativement trouver le moyen de concilier usages et qualité écologique des milieux aquatiques qui en sont la source ou le support.
L’ingénierie écologique, qui propose des outils pour aménager les milieux aquatiques, dans le but de répondre à des demandes sociales, tout en favorisant un fonctionnement plus naturel de ces milieux, fournit des bases de travail solides pour relever ce défi.
La volonté actuelle de nombreuses collectivités de réaménager les berges de leur rivière, avec des objectifs qui leurs sont propres, constitue donc une opportunité à saisir. C’est l’occasion de redonner aux rivières une partie de leur espace de bon fonctionnement, condition essentielle pour qu’elles retrouvent un bon état écologique.
Cette opportunité doit être saisie tant pour le grand fleuve, qui structurent la ville, que pour le petit ruisseau, qui l’anime et la décore.
Beaucoup de villes se sont construites en relation directe avec un cours d’eau.
Pendant de nombreux siècles la rivière a apporté l’eau courante et l’énergie, facilité les déplacements des biens et des personnes, évacué les déchets, contribué à protéger les villes contre leurs ennemis.
Le pont ou le gué, qui permettait de franchir la rivière, constituait un point de passage forcé, favorable au contrôle, mais aussi aux échanges et au commerce. Il a souvent constitué le germe de la ville.
Au fil du temps, beaucoup de ces fonctions ont perdu de leur importance, mais les bords des rivières ont continué à être un enjeu important d’aménagement.
Leur continuité à travers la ville a encouragé leur utilisation pour installer les voies de transport : voies ferrées, routes ou autoroutes. L’existence d’espaces libres à proximité des centres villes, à une période où la voiture était reine, a incité à la mise en place de stationnements, en réduisant le lit des rivières, et parfois en les recouvrant totalement. La pression foncière a contribué au développement de l’urbanisation de plus en plus près du cours d’eau, souvent en l’ignorant et en lui tournant le dos.
Cette évolution urbaine a eu des conséquences souvent désagréables. Une rivière, même lorsqu’on la croit « domestiquée » reste imprévisible. Les crues dites extrêmes sont par définition rares. Elles se produisent peut-être une fois par siècle, ce qui permet de dire « on n’a jamais vu ça avant », mais elles se produisent ou se produiront de façon certaine. Lorsqu’elles se produisent, les aménagements supposés réguler ou contrôler la rivière (barrages, digues) s’avèrent toujours insuffisants et les riverains s’étonnent que l’eau puisse « sortir de son lit » pour venir inonder leurs biens.
En réalité, une rivière ne sort jamais de son lit. Elle vient occuper sa plaine d’inondation, que l’on appelle aussi son lit majeur. Il s’agit d’un espace que le cours d’eau s’est façonné au cours du temps et qui lui appartient. C‘est l’homme qui est venu s’y installer de façon intempestive, sans doute parce qu’il a perdu la mémoire de ce qu’était la nature. Près de 80% des constructions situées en zone inondable ont été construites au cours des 35 dernières années. L’évaluation nationale des risques d’inondation dont les résultats ont été publiés en 2011 [1] indique qu’en France, en ce début de XXIème siècle, 1 habitant sur 4, est exposé au risque d’inondation par débordement de cours d’eau.
Au-delà des risques associés aux aménagements, le fait d’occuper ces espaces perturbe également le fonctionnement de la rivière et, plus largement, l’ensemble des espèces qui utilisent ces écosystèmes particuliers.
Les abords immédiats des cours d’eau constituent naturellement des écosystèmes particulièrement intéressants.
Lorsqu’ils ne sont pas perturbés par les aménagements, ils offrent une très grande diversité d’habitats (prairies humides, forêts alluviales, grèves, vasières, roselières, mares, etc.). Ces habitats très variés sont en outre soumis à des conditions environnementales changeantes (alternances de périodes où ils sont inondés et de périodes où ils sont à sec). Pour ces raisons, ils sont le siège d’une production et d’une diversité biologiques particulièrement élevées.
Ils remplissent de nombreuses fonctions écologiques pour les espèces qu’ils accueillent (nourriceries pour les jeunes et alimentation pour les adultes, zones de repos face à des courants forts, refuges en cas de pollution, zones d’hivernage, de fraie ou de nidification, etc.).
Ils participent également à quasiment toutes les autres fonctions associées à la rivière, y compris celles indispensables à l’homme ou aux usages qu’il souhaite faire de la rivière : atténuation des pointes de crues, infiltration et recharge des nappes, soutien d’étiage [1] , épuration, protection contre l’érosion, sédimentation, régulation thermique, etc..
Cette diversité d’habitats et de fonctions est donc naturellement la source d’une biodiversité importante :
Préserver les abords immédiats de la rivière d’une part, maintenir la continuité entre eux et la rivière d’autre part, constituent donc deux conditions essentielles pour la préservation de nombreuses espèces et deux enjeux majeurs pour le maintien de la biodiversité.
Pour ceci, il faut impérativement laisser à la rivière un espace suffisant autour de son lit mineur.
Dans le cas d’une rivière non aménagée, cet espace de liberté au sein duquel la rivière peut évoluer, y compris parfois en déplaçant la position de son lit, est appelé « espace de bon fonctionnement ». Il peut être très large.
Dans les villes, cet espace a le plus souvent été réduit, en comblant progressivement les bras non utilisés, en exhaussant les terrains pour permettre leur urbanisation, en creusant, en endiguant et parfois en canalisant, voire en busant le lit principal. Il est bien sur extrêmement difficile, voire totalement impossible, de restituer à la rivière la totalité de l’espace qu’on lui a confisqué. Cependant, dans de nombreux cas, il est possible de réaménager les berges de façon à redonner à la rivière un espace suffisant pour retrouver un fonctionnement de meilleure qualité.
On pourrait se dire que la plupart des rivières ne s’écoulent pas en permanence dans un environnement urbain et que les habitats associés aux lits majeurs peuvent être conservés sur des portions du cours d’eau où la valeur foncière est plus faible qu’en ville et où la nature est plus à sa place.
La vérité est assez différente.
Les zones urbaines et péri-urbaines constituent donc également des tronçons où ces milieux sont particulièrement utiles et doivent être protégées.
Beaucoup d’espèces animales ont besoin de se déplacer pour survivre du fait de contraintes associées à la recherche de leur nourriture, de partenaires pour leur reproduction ou d’habitats différents selon la période de leur vie. La continuité des cheminements entre ces différents espaces est donc une nécessité vitale pour leur préservation.
Or les rivières assurent naturellement cette continuité des cheminements. Dans la traversée des villes, elles constituent un fil bleu qui relie les zones naturelles ou rurales situées à l’amont de la ville à celles situées à l’aval. Comme pour l’homme avant la construction des villes, les cours d’eau forment donc souvent les axes principaux de déplacement. Si les espèces aquatiques peuvent utiliser le lit mineur de la rivière et les oiseaux survoler sans trop de difficultés les zones urbaines, les villes peuvent devenir des obstacles insurmontables pour beaucoup d’espèces terrestres (insectes, mammifères, amphibiens, reptiles, etc.).
Préserver les abords immédiats des rivières, afin notamment de constituer des corridors « verts et bleus » et assurer la continuité des cheminements, est donc également très important pour la biodiversité.
[1] Période de débit faible dans la rivière.
[2] Le plancton est l’ensemble des organismes de petite taille qui vivent en suspension dans l’eau ; le phytoplancton est constitué de micro-algues non fixées, le zooplancton d’animaux microscopiques.
Par fonctions environnementales, nous entendons ici fonctions naturelles directement utiles à l’homme, par opposition aux fonctions écologiques qui sont utiles à la nature, sans pour autant rendre un service direct à l’homme.
Les usages humains qui reposent sur des rivières, et qui nécessitent un fonctionnement satisfaisant de leur lit majeur, sont nombreux. Citons par exemple l’alimentation en eau potable, l’approvisionnement en eau des industries, l’irrigation, la pêche, l’extraction de granulats [1] et de nombreux usages récréatifs souvent liés à la qualité paysagère de ces écosystèmes.
Ces usages sont le plus souvent étroitement dépendants de fonctions que l’écosystème fournit de façon quasiment gratuite s’il est en bon état : autoépuration des eaux de surface, recharge des aquifères [2] en eau de bonne qualité, limitation des extrêmes hydrologiques (crues ou étiages), transport solide et maintien de la qualité des substrats [3] et des habitats, pérennisation des écosystèmes et de paysages originaux, etc.
Nous avons donc un intérêt direct, y compris économique, à ce que les rivières fonctionnent de façon satisfaisante, et donc que les milieux indispensables à ce bon fonctionnement soient préservés.
[1] Les granulats sont des fragments de roche utilisés pour fabriquer des matériaux destinés à la construction d’ouvrages de génie civil (en particulier du béton). Les cailloux et les galets extraits des lits majeurs des rivières constituent l’une des sources d’approvisionnement.
[2] Réserves d’eau souterraines.
[3] En écologie, le substrat est constitué de l’ensemble des éléments minéraux qui servent de support à la vie. Ici, il s’agit plus particulièrement des éléments constitutifs du fond de la rivière.
Dans un monde idéal, la nature serait un jardin et l’homme son jardinier !
En pratique la nature est très loin d’être un jardin et une rivière n’est que rarement un long fleuve tranquille. Elle peut être violente, sauvage, dangereuse, en un mot désagréable pour l’homme dont le premier souci est souvent de se prémunir contre ses excès.
L’homme, pour sa part, a souvent trouvé beaucoup plus efficace de dominer la nature que de la cultiver. La ville s’est ainsi souvent développée contre le réseau hydrographique, en lui tournant le dos, en lui dérobant son espace vital, en l’enterrant ou en le comblant.
Est-il possible de revenir en arrière, ou du moins de changer de stratégie ? Est-il possible d’aménager les abords des rivières dans la traversée des villes en alliant usages urbains de ces milieux et préservation de l’écosystème ?
Ce défi peut paraître difficile à surmonter. Il suppose que l’on soit capable de développer des usages urbains dans un espace « naturel », ou du moins peu altéré, ceci sans que ces usages ne dégradent ou n’affectent sa qualité écologique.
Nous avons fait trois constats :
Nous n’avons donc pas le choix. Si nous ne voulons pas couper la branche sur laquelle nous sommes assis, nous devons impérativement trouver le moyen de concilier usages et qualité écologique des milieux aquatiques qui en sont la source.
Une gestion adaptée des abords immédiats des rivières, en particulier dans la traversée des villes, constitue un enjeu important pour atteindre cet objectif.
Depuis quelques dizaines d’années, une nouvelle façon de penser l’aménagement des espaces naturels se développe autour du concept d’ingénierie écologique. L’une des idées fondatrices de ce concept est que l’on peut aménager un milieu aquatique pour répondre à des demandes sociales, tout en favorisant un fonctionnement plus naturel de ce milieu.
Dans le même temps, de nombreuses villes commencent à revaloriser et à « renaturer » les berges des rivières qui les traversent. Les motivations des élus qui lancent ces projets d’aménagement peuvent être diverses :
Souvent les objectifs sont multiples, pas toujours clairement exprimés, et presque toujours différents selon les acteurs impliqués (élus locaux, état, agences de l’eau, riverains, associations, etc.).
Ces projets constituent cependant autant d’opportunités à saisir.
La prise en compte des outils et méthodes de l’ingénierie écologique pour aborder ces projets est un moyen efficace d’aboutir à une solution efficace et partagée.
Deux obstacles de nature opposée doivent être surmontés lorsque l’on veut réaménager les lits majeurs des rivières dans la traversée des villes :
La spécificité des projets d’ingénierie écologique appliqués à ce type de problématique est donc essentiellement de devoir impérativement considérer la relation eau-nature-ville dans sa globalité, en intégrant en particulier l’homme dans la réflexion.
Il s’agit d’un enjeu difficile. Le développement de la ville s’est souvent fait dans une logique de protection des citadins « contre » la nature, et, à l’opposé, les projets de renaturation sont souvent pensés dans une logique de protection de la nature « contre » la ville, qui a souvent été un facteur déterminant de détérioration de ces milieux naturels.
Malgré tout, cette difficulté n’est pas insurmontable et il existe de plus en plus d’exemples où l’on a réussi à intégrer la dimension urbaine dans une démarche de valorisation écologique des milieux.
Il existe bien évidemment une très grande diversité de situations et de contextes.
Malgré tout il existe une clé d’entrée qui, sans être universelle, ouvre beaucoup de portes.
Cette clé consiste à donner un rôle paysager, récréatif ou éducatif aux écosystèmes.
Le développement de ces fonctions facilite l’appropriation de l’hydrosystème par les citadins et peut conduire à une certaine reconnaissance de ses divers atouts (et contraintes). Il contribue à la prise de conscience, par les différents acteurs de la société, de l’importance des équilibres écologiques et contribue ainsi à un développement plus « durable ». Par ailleurs, la qualité paysagère est souvent fortement associée à la diversité des habitats. Plus le milieu sera riche et en meilleure santé, plus son intérêt paysager, éducatif et récréatif sera grand.
La Directive cadre européenne sur l’eau de 2000 exige en particulier des Etats membres qu’ils mettent en œuvre les moyens nécessaires pour que l’ensemble des « masses d’eau » (rivières, lacs, estuaires, nappes souterraines, zones humides, etc.) retrouvent un « bon état » chimique et écologique en 2015. Le « bon état » est défini comme l’état d’un écosystème de même nature, non perturbé par les activités humaines.
Cette Directive cadre a été traduite en droit français, en particulier par la loi sur l’eau de 2001 et ses textes d’application. L’objectif ambitieux de bon état est bien sûr très loin d’être atteint partout en 2014. Cependant des progrès significatifs ont été accomplis, si ce n’est encore dans la qualité des masses d’eau, du moins dans la mise en place de conditions favorables à l’amélioration de cette qualité.
En ce qui concerne strictement la question de la préservation des espaces de bon fonctionnement des rivières en ville, condition importante de ce retour au bon état, différents éléments peuvent être cités. Le développement des approches intégrées par bassin versant (Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux, Contrats de Rivières) est un élément très positif. Sur un plan plus technique, les digues sont considérées comme des « ouvrages de danger » depuis un décret de 2007 et la construction de nouveaux ouvrages est fortement découragée. Enfin le Génie écologique bénéficie d’une forte promotion par l’Etat, fait l’objet d’une norme (NF X10-900) depuis 2013 et les professionnels se sont regroupés dans une « Union Professionnelles » : l’U.P.G.E..
Le développement des « trames vertes et bleues » constitue officiellement depuis 2007 l’un des grands projets nationaux français issus du Grenelle de l’Environnement. Ce projet consiste à protéger ou à restaurer, à toutes les échelles du territoire, un maillage continu de corridors écologiques et de zones-tampons ou annexes). Il constitue l’un des éléments centraux inscrits par l’Etat dans le plan de Stratégie nationale pour la biodiversité (2010-2020). Il est également décliné au niveau des Régions (stratégies régionales pour la biodiversité) et au niveau des collectivités territoriales (par exemple dans les Agenda 21 et autres stratégies territoriales).