Les écosystèmes aquatiques remplissent des fonctions naturelles qui nous sont directement ou indirectement utiles par les services gratuits qu’elles nous rendent (autoépuration des eaux de surface, recharge des nappes souterraines en eau de bonne qualité, limitation des valeurs extrêmes des débits, maintien de l’équilibre sédimentaire, de la qualité des substrats et des habitats, pérennisation des écosystèmes et de paysages originaux, etc.). Pourtant les usages que nous faisons de ces écosystèmes, ainsi que les aménagements que nous leur imposons, conduisent à une dégradation de leur qualité.
Or, si les écosystèmes aquatiques sont en mauvaise santé, ils remplissent mal leurs fonctions, ce qui peut aller jusqu’à compromettre les usages que nous en faisons. Si nous n’y prenons pas garde, nous allons donc couper la branche sur laquelle nous sommes assis.
Pour éviter ce risque, il faut être capable de restaurer un fonctionnement naturel des écosystèmes intégrant les usages que nous en faisons. Pour ceci il existe des techniques douces d’aménagement et de gestion, dont l’objectif est de trouver un équilibre entre l’homme et la nature.
L’ingénierie écologique est au cœur de cette stratégie qui vise à s’appuyer sur des mécanismes naturels au lieu de s’opposer à eux. Elle repose sur quatre principes fondamentaux :
Ce type d’approche peut s’appliquer efficacement dans un grand nombre de domaines, depuis la restauration de la qualité d’un milieu aquatique jusqu’à la gestion des eaux pluviales urbaines, en passant par une meilleure maîtrise des risques liés aux inondations ou à l’érosion.
Ce texte est très largement inspiré de l’ouvrage "Ingénierie écologique appliquée aux milieux aquatiques : pourquoi ? comment ?" (coordonné par B. Chocat, 2013)
Ouvrage téléchargeable gratuitement sur le site internet de l’ASTEE.
Comme tous les concepts émergents, l’ingénierie écologique a encore du mal à trouver une définition unique et consensuelle.
L’une des définitions les plus abouties et complètes en France est celle proposée par le Manifeste de la recherche pour l’ingénierie écologique [1] : "L’ingénierie écologique désigne les savoirs scientifiques et les pratiques, y compris empiriques, mobilisables pour la gestion de milieux et de ressources, la conception, la réalisation et le suivi d’aménagements ou d’équipements inspirés de, ou basés sur les mécanismes qui gouvernent les systèmes écologiques. Elle fait appel à la manipulation, le plus souvent in situ, parfois en conditions contrôlées, de populations, de communautés ou d’écosystèmes, au pilotage de dynamiques naturelles et à l’évaluation de leurs effets désirables ou indésirables. C’est une ingénierie centrée sur le vivant envisagée comme moyen ou comme objectif de l’action."
Cette définition, assez théorique, mérite des explications qui sont fournies dans les paragraphes suivants.
En France, au cours des cinquante dernières années, la logique de gestion des milieux aquatiques s’est progressivement transformée au fil de l’évolution de la législation européenne et des grandes Lois sur l’eau de 1964, 1992 et 2006. Nous sommes ainsi progressivement passés d’un objectif de simple préservation d’une ressource, dans une logique purement anthropique [2], à celui de gestion équilibrée d’un milieu naturel.
Cette évolution s’est principalement développée dans deux directions principales :
Il ne s’agit pas de privilégier la nature au détriment de l’homme, mais plutôt de préserver la nature de façon à assurer la pérennité des usages qui reposent sur elle.
L’idée centrale est que non seulement la préservation, la restauration ou la gestion des écosystèmes et de leurs fonctions naturelles ne s’opposent pas aux usages anthropiques, mais que, au contraire, elles sont nécessaires pour en garantir la continuité.
Ceci implique d’accepter et de gérer les conflits qui peuvent parfois exister.
L’ingénierie écologique constitue l’un des outils qui soutiennent cette évolution.
Ce concept fait aujourd’hui l’objet d’un fort intérêt chez les scientifiques, mais aussi auprès des acteurs opérationnels en charge des milieux aquatiques et même de certains aménageurs. Le Ministère français en charge de l’écologie a en particulier mis en place un plan d’action national et a favorisé l’organisation des acteurs économiques au sein d’une Union des Professionnels du Génie Ecologique (UPGE) [3]. Il a ensuite développé son action en incitant à une organisation encore plus large au sein de l’Association fédérative des acteurs de l’Ingénierie et du Génie Ecologique (A-IGEco). A la fin de l’année 2012 a également été publiée la norme AFNOR NF X10-900 sur "Génie Ecologique - Méthodologie de conduite de projet appliquée à la préservation et au développement des habitats naturels - Zones humides et cours d’eau" [4].
[2] C’est-à-dire entièrement centrée sur les besoins des hommes.
[3] Voir le site internet de l’UPGE
Le point de départ est le constat que les écosystèmes remplissent des fonctions naturelles qui peuvent être directement ou indirectement utiles à la société par les services qu’elles lui rendent.
Les usages humains qui reposent sur des écosystèmes aquatiques sont en effet nombreux. Citons par exemple l’alimentation en eau potable, l’approvisionnement en eau des industries, l’irrigation, la pêche, l’extraction de granulats, la production d’hydroélectricité, la capacité à recevoir les rejets urbains ou industriels, la navigation, etc., ainsi que de nombreux usages récréatifs liés à la qualité paysagère ou écologique des écosystèmes aquatiques.
Ces usages sont le plus souvent étroitement dépendants de fonctions que l’écosystème fournit de façon quasiment gratuite : autoépuration des eaux de surface, recharge des nappes souterraines en eau de bonne qualité, régulation des débits (limitation des valeurs extrêmes), maintien de l’équilibre sédimentaire, de la qualité des substrats et des habitats, pérennisation des écosystèmes et de paysages originaux, etc.
S’ils rendent des services à l’Homme, les écosystèmes aquatiques restent cependant des systèmes naturels. Ils n’obéissent pas à la morale et ne se soucient pas des désagréments qu’ils peuvent causer. Notre société a donc souvent été amenée à aménager ces écosystèmes, en général dans le but de tempérer leurs excès ou de faciliter leur usage.
La plupart de ces aménagements et de ces usages impactent les écosystèmes de façon plus ou moins forte et durable. Cet impact peut être dû aux usages eux-mêmes (prélèvement d’eau ou de granulats, rejets de polluant, etc.) ou aux dispositifs techniques construits, par exemple, pour mobiliser la ressource ou se protéger des crues (digue, barrage, aménagement de berges, etc.).
Le résultat est dans tous les cas une altération, parfois importante, de certaines des fonctions naturelles. Cette altération peut aller jusqu’à compromettre les usages eux-mêmes.
Ces interactions complexes entre usages et fonctions écologiques sont donc au cœur de l’enjeu d’une gestion durable et équilibrée des écosystèmes aquatiques.
Pour parvenir à gérer ces interactions, il est donc indispensable de mieux les comprendre, de mieux les maîtriser, et finalement de trouver des solutions permettant de mieux concilier les usages et le fonctionnement naturel des écosystèmes. C’est l’objet même de l’ingénierie écologique.
Malgré toutes les singularités d’application associées à la diversité des objectifs et à la variété des milieux, il s’agit en fait toujours de trouver un nouvel équilibre entre l’homme et la nature, en proposant des aménagements qui s’appuient sur des mécanismes naturels et tentent de les mobiliser de façon positive au lieu de vouloir les contraindre en s’opposant à eux.
Pour atteindre cet objectif, une approche globale est indispensable, car toutes les fonctions des écosystèmes aquatiques sont liées entre elles et conditionnent les services que ces écosystèmes peuvent rendre à l’homme. La compréhension de ces relations, associée à un raisonnement portant sur la globalité du système, est donc un préalable nécessaire pour une mise en œuvre efficace de toute intervention. Dans le cas contraire, une amélioration locale d’une fonction risque de se payer au prix de la dégradation d’une autre fonction, parfois dans un tout autre compartiment de l’écosystème.
Ceci est particulièrement important à un moment où le retour au bon état des milieux aquatiques constitue un objectif fort, mais aussi une obligation réglementaire, en France comme dans tous les pays européens.
Au vu de cette analyse, et en s’appuyant sur les résultats d’une enquête auprès des acteurs de la gestion des milieux aquatiques, le document de l’ASTEE propose plusieurs exigences indispensables à la mise en pratique d’un projet d’ingénierie écologique :
Finalement, le document de l’ASTEE propose quatre critères principaux permettant de définir ce qu’est un "bon" projet d’ingénierie écologique. Celui-ci doit :
[1] Un système est un ensemble constitué d’un grand nombre d’éléments qui interagissent entre eux. Les relations entre les éléments sont aussi importantes que les éléments eux-mêmes. Une vision systémique consiste à s’intéresser à la fois aux éléments et à leurs interactions.
[2] Par exemple, dans le cas d’une rivière, il faut tenir compte des quatre dimensions de l’écosystème à traiter :
Dimension longitudinale : relations amont-aval, continuité, etc. ;
Dimension transversale : relations lit mineur-berges-lit majeur ;
Dimension profondeur : relations rivière-substrat-nappe d’accompagnement ;
Dimension temporelle : cycles journaliers et annuels, évolutions tendancielles et situations de crise (crues, étiages).
[3] En écologie, il est préférable de parler de trajectoire d’évolution que d’état. Un écosystème évolue en effet en permanence, à la fois de façon cyclique (cycle journalier ou annuel par exemple) et tendancielle. Il est donc extrêmement difficile de caractériser un état, par définition stable.
[4] La résilience d’un écosystème est sa capacité à résister à des agressions et à s’adapter à des perturbations.
Au vu des éléments précédents, il apparaît que l’ingénierie écologique peut être mise en œuvre dans un large champ d’application pour les milieux aquatiques. Les raisons qui peuvent motiver une intervention d’ingénierie écologique sur un écosystème aquatique sont donc également diverses. Elles peuvent :
Du point de vue du décideur politique, un grand nombre de raisons peuvent donc être identifiées pour envisager le recours à l’ingénierie écologique. Le document de l’ASTEE propose d’en retenir sept qui paraissent représentatives des différents champs d‘application potentiels, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité.
Ces sept points d’entrée, qui ne sont pas hiérarchisés ni par leur importance économique, ni par leurs enjeux écologiques ou sociaux, sont les suivants :
Selon le code de l’environnement, les zones humides [1] sont des "terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles [2] pendant au moins une partie de l’année". (Art. L.211-1).
Cette définition un peu austère met en avant deux éléments qui déterminent ce qu’est une zone humide :
Elle est cependant très large et le statut de zone humide peut s’appliquer à des écosystèmes très différents : Marais, tourbière, prairie humide, lac naturel, lande humide, marais salant, vasière, lagune, mangrove, …
En pratique, cette définition possède également une valeur réglementaire importante car les zones humides sont aujourd’hui des espaces protégés. Le portail d’Eaufrance sur les zones humides propose des critères multiples pour mieux identifier et classifier ces différents milieux.
C’est dans des zones humides (en Mésopotamie entre le Tigre et l’Euphrate, dans le delta du Nil, …) que les premières civilisations se sont installées et développées. La présence permanente de l’eau, la richesse des sols, la diversité des espèces animales et végétales, en faisaient naturellement des espaces privilégiés et particulièrement favorables à la sédentarisation et à l’agriculture.
De l’époque gallo-romaine au XVIIIème siècle, certaines zones humides drainées servent pour le maraîchage mais aussi pour la culture du lin ou du chanvre, pour la production de foin de marais (blache) ou de litière pour les animaux. Les zones humides non drainées sont des lieux de chasse, de pêche, de cueillettes et de défense naturelle contre les assaillants (FRAPNA, 2015). Ces espaces sont donc préservés.
La situation change progressivement au cours du XVIIIème et du XIXème siècle. Les zones humides sont alors de plus en plus considérées comme des endroits malsains. Difficiles à cultiver ou à valoriser, sauf exceptions (tourbières), elles sont suspectées de tous les maux : sources de fièvres, de moustiques, de serpents, et de légendes.
Il faut donc les assainir en les drainant, comme, à la même époque, il apparaît nécessaire d’assainir les villes.
A partir des années 1950 et de façon de plus en plus affirmée au cours des décennies suivantes, le point de vue sur les zones humides commence à nouveau à changer. Tout d’abord les scientifiques mettent en évidence la richesse et l’importance écologique des espèces animales et végétales spécifiques à ces espaces. Ils montrent également que de très nombreuses autres espèces en sont dépendantes à un moment ou à un autre de leur cycle de vie.
Malgré cette prise de conscience l’assèchement des zones humides s’accélère encore à la fin du XXème siècle, mettant en péril la survie d’un grand nombre d’espèces.
Progressivement un autre aspect commence alors à s’imposer : les zones humides sont précieuses non seulement par les espèces rares et menacées qu’elles recèlent ou qu’elles protègent pendant une partie de leur cycle de vie, mais également par les services écologiques qu’elles rendent à la société.
Les zones humides jouent en effet deux rôles majeurs :
Le rapport du préfet Bernard, publié en 1994 [3], dresse le constat alarmant que plus de 50% de la surface des zones humides a disparu en France entre 1960 et 1990. Ce rapport marque un changement d’attitude de la part des pouvoirs publics. L’effort de recensement et de préservation se renforce avec le soutien des Agences de l’Eau.
Pourtant la partie est loin d’être gagnée. Malgré l’évolution réglementaire qui les protège de mieux en mieux, et la prise de conscience de leur importance, un grand nombre de zones humides sont aujourd’hui encore en danger comme le montre la figure de droite.
Le constat que les zones humides amélioraient efficacement la qualité de l’eau a également donné lieu, à la fin du XXème siècle, a à une innovation surprenante : le développement d’ouvrages construits, reproduisant leur fonctionnement, et ayant une fonction épuratoire.
Ces ouvrages constituent aujourd’hui un outil important pour l’ingénierie écologique. Ils sont utilisées pour gérer les eaux pluviales urbaines, pour piéger les pollutions diffuses d’origine agricole (zones tampons), comme mini station d’épuration (filtres plantés de roseaux), ou pour servir d’interface entre la station d’épuration et le milieu récepteur (Zones de rejets végétalisés).
Il s’agit d’un retournement presque complet de point de vue : d’espaces à assainir, les zones humides sont devenues source d’inspiration pour la conception de dispositifs d’assainissement écologiques !
Le terme "zone humide artificielle" parfois utilisé pour qualifier ces ouvrages de traitement, est cependant mal adapté.
Au-delà du caractère symbolique de l’évolution de leur statut (de "zone à assainir" à "espace ayant une fonction d’assainissement"), les zones humides sont tout à fait caractéristiques des méthodes et des enjeux de l’ingénierie écologique :
Les zones humides sont donc à la fois l’objet fréquent d’actions d’ingénierie écologique visant à les restaurer et source d’inspiration pour la mise au point de technique innovantes et efficaces.
Cette dualité montre également que l’Ingénierie écologique va peut-être nous conduire à redéfinir notre relation avec la nature.
Le fait que les ingénieurs conçoivent et construisent des ouvrages ayant une fonction épuratoire qui sont de plus en plus proches, dans leur aspect et dans leur fonctionnement, des zones humides naturelles, pose en effet une nouvelle question :
Quel statut faut-il donner à cette nouvelle famille d’espaces construits, intermédiaire entre ouvrage technique et écosystème naturel ?
Une zone de rejet végétalisée par exemple est un dispositif construit par l’homme pour remplir une fonction technique. Cette dernière ne peut être remplie que si le fonctionnement écologique de l’espace est satisfaisant. Si l’espace est de qualité, des espèces animales et végétales sont donc susceptibles de venir « naturellement » l’investir et le coloniser. Comment faudra-t-il réagir lorsque des espèces protégées viendront s’installer dans une zone de rejet végétalisée et se trouveront ainsi menacées par un dysfonctionnement toujours possible de ce dispositif ?
Cette question, posée sur les zones humides, est en fait une question qui se posera de plus en plus souvent avec le développement de l’ingénierie écologique.
Si les espaces artificiels que nous construisons et que nous instrumentalisons sont de plus en plus semblables, dans leur fonctionnement, dans leur aspect, dans les fonctions écologiques qu’ils remplissent, aux écosystèmes naturels dont ils s’inspirent, comment faire pour continuer à les distinguer de façon pratique ?
[1] Voir en particulier :le site internet Eaufrance
[2] Une plante est dite hygrophile lorsque l’humidité est nécessaire à son bon développement.
[3] Téléchargeable sur le site internet Eaufrance
L’ingénierie écologique constitue aujourd’hui un domaine en plein essor dont la structuration est toujours en cours. La question de son développement est donc posée.
Le document de l’ASTEE développe un important paragraphe qui analyse les défis à relever et les leviers qui peuvent être activés pour favoriser son développement.
Nous le simplifierons fortement ici et renvoyons le lecteur intéressé à ce document de base.
L’hypothèse centrale retenue est que c’est la maîtrise d’ouvrage publique qui sera le facteur principal de l’évolution du domaine au cours des années à venir. Cette hypothèse est bien sûr discutable car d’autres éléments peuvent également jouer un rôle majeur, par exemple l’évolution des connaissances, un changement important de la demande sociétale ou encore une série d’événements climatiques ou environnementaux. Elle est cependant réaliste car, par les financements qu’elle apporte, la maîtrise d’ouvrage publique constitue le principal moteur de l’activité. De plus, la compétence GEMAPI (Gestion des Milieux Aquatiques et Prévention des Inondations), introduite par la loi du 27 janvier 2014 "de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles", devrait conduire les collectivités locales à une meilleure prise en compte des milieux aquatiques.
Les principales pistes identifiées sont les suivantes :
[1] C’est-à-dire préciser clairement qui doit décider de quoi.