L’essentiel

En France, depuis 150 ans, le système traditionnel de gestion des eaux pluviales consiste à les évacuer le plus rapidement possible de la ville en utilisant un gigantesque système de tuyaux qui, très souvent, recueille également les eaux usées.
Ce mode de gestion est extrêmement couteux en infrastructures. De plus il occasionne des dysfonctionnements multiples : débordements des réseaux occasionnant des inondations dans les centres-villes ; rejets d’effluents pollués dans les milieux naturels.
Il transforme une ressource précieuse, l’eau de pluie, en un déchet et en une menace pour la population.
Depuis une quarantaine d’années, de nombreuses villes découvrent (ou redécouvrent) des solutions différentes, dites « alternatives » qui reposent sur un tout autre principe.
Il s’agit essentiellement de rendre la ville « transparente pour l’eau », c’est-à-dire de faire en sorte que le processus d’urbanisation perturbe le moins possible, et idéalement pas du tout, le cycle hydrologique. De très nombreuses solutions ont été développées et mises en œuvre. Elles reposent sur trois principes essentiels ; infiltrer l’eau dans le sol, la stocker, ralentir au maximum son évacuation.
Le principal objectif est d’éviter de concentrer les flux d’eau et de polluants. Ces solutions permettent également de valoriser les eaux pluviales urbaines, que ce soit pour des usages traditionnels ne nécessitant pas d’eau potable (arrosage par exemple) ou pour des usages nouveaux (lutte contre les ilots de chaleur urbains).
Ces solutions sont possibles car les eaux pluviales sont très peu polluées dès lors qu’on les récupère au plus près de l’endroit où elles touchent le sol. C’est au cours de leur transfert, en ruisselant sur les surfaces urbaines, puis dans les systèmes traditionnels d’assainissement, qu’elles se chargent en polluants et deviennent un danger pour l’environnement.
Malgré les freins au changement qui subsistent, le développement de ces nouvelles solutions est indispensable et bien engagé. Leur mise en œuvre est d’ailleurs devenue la règle dans de nombreuses collectivités, petites ou grandes, qui ont été pionnières dans ce domaine.

Comment les eaux de pluie sont-elles gérées dans les villes des pays riches ?

Quels sont les principes de l’assainissement des villes et de quand date cette idée ?

A partir du milieu du XIXème siècle, les villes des pays développés ont mis en pratique un principe unique pour gérer la totalité des eaux produites par la ville. Ce principe consiste à évacuer toutes les eaux le plus rapidement possible de la ville. Il s’applique aussi bien aux eaux usées (c’est-à-dire celles qui ont été utilisées) qu’aux eaux pluviales (c’est-à-dire celles issues du ruissellement de l’eau de pluie sur les surfaces urbaines). Sur le plan technique, ce principe repose sur de gigantesques systèmes d’assainissement, principalement constitués de réseaux qui se développent sous le sol des villes. Ces réseaux convergent vers une ou plusieurs stations d’épuration chargées de nettoyer l’eau avant son rejet au milieu naturel à l’aval de la ville.

Pendant les périodes sèches seules les eaux usées circulent dans le système d’assainissement. Pendant les périodes pluvieuses, il faut évacuer à la fois les eaux pluviales et les eaux usées. Si les débits d’eau usée sont relativement constants, les débits d’eau pluviale sont extrêmement variables et peuvent, pendant les pluies les plus violentes, atteindre des valeurs qui sont plusieurs centaines de fois supérieures aux débits maximum d’eaux usées.

Comment fonctionnent les systèmes d’assainissement ?

En théorie, il existe deux grandes familles de systèmes d’assainissement :

  • Les systèmes unitaires dans lesquels les eaux usées et les eaux pluviales sont rassemblées et évacuées dans le même réseau. Comme les débits susceptibles d’être produits par les pluies les plus fortes sont très supérieurs à ceux produits par temps sec, ce sont les débits de temps de pluie qui imposent de construire des réseaux de très grandes dimensions. De plus, la capacité des stations d’épuration est insuffisante pour traiter ces débits très supérieurs au débit usuel [1]. Une partie du mélange eau usée – eau pluviale est donc rejeté directement au milieu naturel sans le moindre traitement par des ouvrages appelés « déversoirs d’orage ».
  • Les systèmes séparatifs qui sont constitués de deux réseaux : un réseau eaux usées, normalement de petite taille, qui conduit la totalité des flux qu’il recueille vers la station d’épuration, et un réseau eaux pluviales, qui ne recueille théoriquement que les eaux de ruissellement. Ce réseau les achemine le plus directement possible vers le milieu naturel où elles sont rejetées, souvent sans traitement préalable, parfois après un traitement spécifique.

En réalité, il existe très peu de systèmes réellement séparatifs et la plupart des réseaux, même censés être des réseaux d’eaux usées, voient leur débit augmenter de façon très significative pendant les périodes de pluie et doivent être munis de déversoirs d’orage pour éviter les débordements sur la chaussée.

Qu’est-ce que les rejets urbains de temps de pluie ?

Les rejets urbains de temps de pluie sont donc constitués de quatre types de rejets distincts :

  • Le mélange eaux usées – eaux pluviales qui a transité par la station d‘épuration et y a subi un traitement ;
  • Le mélange eaux usées – eaux pluviales rejeté directement par les déversoirs d’orage sans aucun traitement ;
  • Les eaux collectées par les réseaux séparatifs eau pluviale et rejetées sans aucun traitement.
  • Les eaux collectées par les réseaux séparatifs eau pluviale et rejetées après un traitement spécifique.

Quelle est l’importance des réseaux dans les villes actuelles et comment fonctionnent-ils ?

Les systèmes d’assainissement des villes occidentales sont gigantesques. Des centaines, souvent des milliers de kilomètres de tuyaux s’étendent sous les rues, plusieurs mètres sous la surface. Les dimensions des tuyaux sont impressionnantes. Dans les grandes villes, les canalisations les plus grandes ont souvent plusieurs mètres de hauteur et de largeur. En temps de pluie ce sont de véritables torrents d’eau sale qui coulent juste sous nos pieds avec des débits de plusieurs dizaines de mètres cubes par seconde. La valeur patrimoniale de ces dispositifs est également très grande et se chiffre souvent en milliards d’euros. Avec les montants actuels de dépenses consacrées aux investissements en assainissement, il faudrait probablement plus d’un siècle pour reconstruire à l’identique les systèmes existants.

La particularité de ce patrimoine est qu’il est totalement méconnu. Invisible, difficilement accessible pour les non-professionnels, associé à une image très négative du fait des flux qu’il véhicule, il est le plus souvent ignoré aussi bien des citoyens que de leurs élus.

Ces systèmes d’assainissement se sont constitués progressivement au cours des 180 années passées, au fur et à mesure de l’amélioration de l’hygiène et des conditions de vie urbaine dans un premier temps, puis de l’extension des villes dans un second temps. Une partie de ces réseaux est donc ancienne et beaucoup de canalisations commencent à se dégrader.

Même si des dysfonctionnements se produisent parfois (débordements de réseaux, mauvaises odeurs, rejets de polluants au milieu naturel), ces systèmes rendent globalement un service jugé satisfaisant par les citadins.

Qu’en est-il dans les villes des pays en développement ?

Dans beaucoup de villes des pays en développement la situation est très différente. Souvent seule une petite partie des villes est équipée d’un réseau de collecte des eaux usées, qui n’aboutit d’ailleurs que très rarement à une station d’épuration opérationnelle. Dans la plupart des quartiers la solution la plus fréquente est constituée par des installations individuelles très sommaires : une simple fosse, souvent non étanche, directement connectée aux toilettes (qui reçoit ce que l’on appelle les « eaux noires »). Les « eaux grises » (cuisine, vaisselle, lavage du corps ou de la lessive) sont le plus souvent évacuées directement dans la rue. Les eaux de ruissellement sont recueillies dans des caniveaux et rejoignent les ruisseaux ou des thalwegs naturels, parfois des canaux artificiels, où elles se mélangent aux eaux grises. L’absence de service organisé de collecte des ordures a également pour conséquence l’accumulation des détritus dans ces canaux naturels ou artificiels. En cas de pluie violente les débordements sont fréquents, l’eau polluée vient alors inonder les maisons et contaminer les puits utilisés pour la production d’eau.

Dans l’état actuel des choses, il semble très difficile financièrement de développer rapidement dans ces villes en pleine explosion démographique des systèmes d’assainissement identiques à ceux qui ont mis un siècle et demi à se mettre en place en Europe.

[1En outre les procédés de traitement mis en œuvre dans les stations d’épuration (presque toujours de type biologiques) supportent difficilement les variations importantes de débit et de composition des apports dues au mélange des eaux usées avec des eaux pluviales.

Quels sont les inconvénients du « tout-à-l’égout » ?

Les systèmes d’assainissement protègent-ils les villes contre les risques d’inondation ?

Les pluies, et donc les débits qu’elles génèrent, sont des phénomènes que l’on considère généralement comme « non bornés ». De façon pragmatique, ceci signifie que le déluge est possible et qu’il n’est pas possible de construire des ouvrages hydrauliques suffisamment grands pour fonctionner « normalement » quelles que soient les conditions.

durée (min)hauteur (mm)lieudate
138Barot (Guadeloupe)26/11/1970
8126Fussen (Bavière)25/5/1920
15198Plumb Point (Jamaica)12/05/1916
20206Curtea (Roumanie)7/07/1947
42305Holt (Montana)22/06/1947
130483Rockport (Virginia)18/07/1889
165559D’Hannis (Texas)01/07/1935
270782Smethport (Pensylvania)16/09/1942
5401 087Bélouve (La Réunion)28/02/1964
7201 340Bélouve (La Réunion)28/02/1964
1 1101 689Bélouve (La Réunion)28/02/1964
1 4401 825Foc Foc (La Réunion)15/03/1952

Records pluviométriques mondiaux en 1979 pour des durées allant d’une minute à une journée,
extrait de Chocat et Eurydice, 1993. Pour mémoire, la hauteur moyenne annuelle de pluie sur le territoire métropolitain est de 800mm.

Lorsque l’on choisit les dimensions d’un ouvrage, par exemple le diamètre d’un tuyau destiné à évacuer les eaux de ruissellement urbaines, on accepte donc toujours un certain risque que cet ouvrage soit un jour insuffisant. Ce risque est évalué par sa « période de retour », c’est-à-dire l’intervalle de temps moyen qui sépare deux événements au moins aussi forts que celui pris en compte pour calculer les dimensions de l’ouvrage. Pour les canalisations d’évacuation des eaux pluviales urbaines, cette période de retour est souvent choisie entre 5 et 50 ans, la valeur 10 ans ayant pendant très longtemps constituée la référence [1]

Le risque de débordement, et par conséquent d’inondation urbaine, est donc implicitement accepté dans le principe même de la gestion des eaux pluviales par le système du « tout à l’égout ».

Un évènement qui se produit en moyenne une fois tous les dix ans peut paraître rare. Mais au-delà de sa fréquence, il est important de regarder la gravité de ses conséquences. Le risque est très différent selon qu’il ne concerne que l’inondation de quelques caves ou la noyade de plusieurs personnes. La gravité des conséquences est directement liée à l’importance possible des flux d’eau qui débordent, laquelle est souvent proportionnelle au débit qui peut transiter dans les conduites.

Les centres historiques des villes, là où ont été construits les premiers réseaux, sont généralement situés près des points bas (près du port ou du pont, au bord de la rivière) et l’extension urbaine s’est développée en couches successives, s’éloignant progressivement de ce centre historique, en occupant des zones de plus en plus élevées et éloignées de la rivière. Comme l’eau s’écoule toujours du haut vers le bas, deux solutions étaient possibles : soit construire de nouveaux collecteurs de grande dimension, contournant le centre pour aller jusqu’à la rivière, soit raccorder les nouveaux réseaux sur ceux déjà existant. Un bon principe d’ingénierie étant l’économie de moyens, la deuxième solution a souvent été privilégiée. Le résultat est la concentration des flux vers les réseaux les plus anciens du centre-ville.

Cette situation a trois conséquences :

  • Le fait de faire converger tous les flux vers les points bas conduit à mettre en place des collecteurs de plus en plus gros, capables de véhiculer de très forts débits et, lorsqu’il deviennent insuffisants, à provoquer des débordements très importants.
  • Lorsque ce sont les réseaux anciens qui sont utilisés pour remplir cette mission, ils reçoivent souvent des débits très supérieurs à ceux pour lesquels ils ont été conçus à l’origine ; les risques de dysfonctionnement sont donc fortement accrus.
  • Ce sont les centres villes anciens, lieux souvent les plus vulnérables, qui souffrent le plus de ces dysfonctionnements.

En conclusion, on peut donc affirmer que non seulement l’utilisation d’un réseau d’assainissement pour la collecte et l’évacuation des eaux pluviales ne protège pas contre le risque d’inondation, mais qu’au contraire cette solution amplifie beaucoup ce risque.

Les systèmes d’assainissement limitent-ils la pollution déversée ?

Dans les pays développés, et en particulier en France, tous les réseaux d’assainissement conduisent l’eau à une station d’épuration. Pendant les périodes de temps sec, on peut donc considérer que, globalement, les systèmes d’assainissement jouent un rôle positif vis-à-vis de la pollution rejetée aux milieux naturels [2]

En revanche les systèmes d’assainissement sont peu efficaces pour gérer les rejets urbains de temps de pluie. Rappelons que quatre types de rejets doivent être considérés :

  • Le mélange eaux usées – eaux pluviales qui a transité par la station d‘épuration et y a subi un traitement. Malheureusement, comme le débit traité est supérieur au débit habituel de temps sec, ce traitement est moins efficace. Les flux de polluants rejetés par la station d’épuration augmentent donc pour deux raisons : le débit rejeté est plus fort et la concentration en polluant des eaux rejetées est supérieure.
  • Le mélange eaux usées – eaux pluviales rejeté par les déversoirs d’orage sans aucun traitement. La concentration en polluant de ce mélange peut être très forte et ces rejets constituent probablement l’une des causes principales de la dégradation de beaucoup de milieux aquatiques.
  • Les eaux collectées par les réseaux séparatifs eau pluviale et rejetées sans aucun traitement. Les eaux de pluie sont très peu polluées mais elles au cours de leur transfert, elles se chargent progressivement en produits divers du fait de l’érosion des matériaux et du lessivage des matières qui se sont déposées pendant les périodes sèches. Plus leur trajet est long, en particulier dans un réseau souterrain, et plus les rejets sont susceptibles d’être dommageables pour les milieux aquatiques (voir le § « Les eaux pluviales urbaines sont-elles polluées ? »).
  • Les eaux collectées par les réseaux séparatifs eau pluviale et rejetées après traitement. On développe aujourd’hui des ouvrages spécifiques pour traiter les eaux pluviales « au bout du tuyau » et avant leur rejet. L’objectif est de piéger principalement la pollution particulaire (par décantation et/ou filtration). Il peut s’agir de techniques extensives (bassins de retenue gérés de façon spécifique) ou de technologies plus compactes (par exemple décanteurs lamellaires). Les rendements de dépollution peuvent être importants (70% à 90%) si les ouvrages ont été bien conçus et sont bien exploités. Il s’agit cependant d’une solution curative, extrêmement couteuse en investissement comme en fonctionnement.

En conclusion, le fait de recueillir les eaux de pluie dans un réseau d’assainissement, qu’il soit unitaire ou séparatif, conduit le plus souvent à rejeter de grandes quantités de polluants pendant les périodes d’orage. Il ne s’agit donc pas d’une solution efficace pour limiter la pollution déversée.

Cette solution est-elle durable ?

L’eau douce est considérée de façon unanime comme une ressource rare qui doit être protégée. L’eau de pluie constitue le point de départ du cycle hydrologique. C’est elle qui reconstitue en permanence nos ressources en eau douce. Plus ces ressources sont proches des villes, plus elles sont précieuses. On devrait donc considérer que l’eau de pluie qui tombe sur les villes est l’une des ressources les plus précieuses que nous offre la nature.

Au lieu de cela, on lui attribue la seule et unique tâche de laver les caniveaux et les égouts. De ressource, on la transforme en déchet, ce qui justifie qu’on la mélange souvent aux eaux usées.

Comme si ce n’était pas encore suffisant, on la concentre dans des tuyaux de plus en plus gros et de déchet on la transforme à nouveau, cette fois, en menace chargée d’aller inonder le centre de nos villes.

Pour réussir cet exploit remarquable, on utilise un système d’infrastructure gigantesque dont le coût d’amortissement est du même ordre de grandeur que celui de l’ensemble des bâtiments publics.

Cette solution n’est donc pas durable.

[1Dire que la période de retour est de 10 ans signifie que, en théorie, la probabilité d’avoir au cours de l’année un pluie plus intense que celle prise en compte pour le dimensionnement est de 1 sur 10.

[2En réalité les stations d’épuration ne « nettoient » pas complètement l’eau. Elles dégradent une partie de la matière organique mais les autres polluants sont seulement en partie séparés de l’eau qui les contient. Ceci signifie d’une part que certains polluants ne sont pas nécessairement arrêtés par la station (voir les textes sur les médicaments ou sur les pesticides), et d’autre part que les déchets contenant les polluants (les boues), doivent aussi être correctement gérés pour éviter le transfert des polluants vers le milieu naturel.

Quelles sont les autres solutions possibles ?

Peut-on gérer autrement les eaux de pluie ?

Les problèmes posés par la gestion actuelle des eaux pluviales sont tous liés au fait que l’on souhaite les évacuer le plus rapidement possible de la ville. Une gestion alternative consiste au contraire à les conserver et à les gérer le plus près possible de l’endroit où elles tombent.

Deux stratégies sont possibles :

  • infiltrer l’eau dans le sol et faciliter son cheminement vers la nappe de façon à reconstituer les réserves souterraines.
  • stocker l’eau dans un dispositif adapté de façon à pouvoir la réutiliser ultérieurement ou la restituer progressivement à la rivière avec un débit faible.

Est-ce dangereux d’infiltrer les eaux pluviales urbaines ?

Depuis que dans les années 1980 les chercheurs ont commencé à étudier la qualité des rejets urbains de temps de pluie, l’idée selon laquelle les eaux pluviales urbaines sont polluées s’est peu à peu imposée. Beaucoup pensent donc qu’il est dangereux d’infiltrer ces eaux pluviales polluées dans le sol des villes.

Les eaux pluviales urbaines sont-elles polluées ?

En réalité, la pollution des eaux pluviales urbaines est un concept beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît. On se doit de distinguer quatre étapes dans l’évolution de la pollution des eaux pluviales urbaines :

  • La pollution de l’eau de pluie avant qu’elle n’atteigne le sol ;
  • La pollution des eaux de ruissellement pluvial sur le sol, avant qu’elles ne rejoignent un système d’évacuation ;
  • La pollution des effluents pluviaux stricts au moment de leur rejet au milieu naturel (à l’exutoire d’un réseau séparatif pluvial) ;
  • La pollution des effluents unitaires au moment de leur rejet au milieu naturel par un déversoir d’orage.

L’eau de pluie est polluée. En effet l’atmosphère contient diverses molécules, fixées ou non sur des poussières ou des particules, et qui vont être dissoutes ou entraînées par les précipitations. Les concentrations sont cependant faibles et elles n’ont aucune raison d’être plus fortes pour les gouttes d’eau qui tombent sur une surface imperméable que pour celles qui tombent sur une surface perméables et qui s’infiltrent sans que personne n’y trouve à redire…

Lorsqu’elle arrive au sol, l’eau de pluie commence une triple action d’érosion, de dissolution et de transport des éléments chimiques qu’elle rencontre. Plus elle circule en surface et plus elle se charge en produits divers du fait de l’érosion des matériaux et du lessivage des matières qui se sont déposées pendant les périodes sèches. Devenue eau de ruissellement, sa concentration en polluant augmente.

Elle augmente encore plus vite lorsque l’eau arrive dans les caniveaux, puis dans le réseau d’assainissement où elle devient effluent pluvial strict. En effet, ces ouvrages servent, en période sèche, de réceptacle à toutes sortes de déchets et d’immondices car ils sont trop souvent considérés comme des poubelles, aussi bien par les citadins que lors du nettoyage des rues.

Enfin, si le réseau est de type unitaire, l’eau de pluie se mélange aux eaux usées et nettoie les collecteurs des vases et dépôts divers qui s’y sont accumulés. Les concentrations en polluants dans les effluents unitaires s’accroissent encore.

Le tableau à droite montre la variation des concentrations selon le type d’eau considérée.

Le risque pris en infiltrant les eaux pluviales dépend donc beaucoup du type d’eau que l’on souhaite infiltrer et donc de sa concentration en polluants.

Ce n’est cependant pas le seul élément à prendre en compte, car même si l’eau contient des polluants, le sol possède une certaine capacité d’épuration.

Quelle est la capacité du sol à fixer les polluants ?

Le sol a une capacité de dépollution importante. Les premières installations d’épuration reposaient d’ailleurs entièrement sur cette capacité, les eaux usées étant simplement « épandues ». Ce procédé est toujours celui utilisé pour la plupart des installations d’assainissement individuelles. L’usine d’épuration « sol » fonctionne selon un procédé assez simple : le matériau sert de support à une communauté de bactéries, de champignons et d’algues qui oxydent la matière organique et la transforment en matière minérale inerte.

Ce mode de dégradation ne concerne cependant que les matières organiques (déjections animales, hydrocarbures, …) dont la concentration est de toute façon assez faible dans les eaux pluviales.

Pour les autres polluants organiques ou minéraux, la capacité d’épuration du sol dépend essentiellement de leur solubilité. Si les polluants sont peu solubles, ils vont s’adsorber rapidement sur les particules du sol et se fixer sur les premiers centimètres. C’est en particulier le cas pour polluants métalliques (plomb, zinc, cadmium, cuivre, …). En revanche, les polluants solubles (par exemple les nitrates) vont percoler dans le sol et rejoindre la nappe phréatique.

Les polluants que l’on trouve dans les eaux de ruissellement urbaines sont par chance très souvent particulaires et sont donc assez bien arrêtés par le sol. Trois points importants doivent cependant être mis en avant :

  • Les polluants persistants (ceux qui ne se dégradent pas, ou qui ne se dégradent que très lentement) ne disparaissent pas. Ils sont simplement stockés provisoirement dans les premiers centimètres du sol. Il faut donc veiller à ce que leur concentration dans ce compartiment ne devienne pas dangereuse pour les espèces qui y vivent ou pour les personnes qui sont en contact avec lui.
  • La capacité du sol à piéger les polluants n’est effective que si le sol n’est pas saturé en eau. Il est donc nécessaire de prévoir une épaisseur de sol suffisante entre la surface et le plus haut niveau de la nappe phréatique. Une épaisseur de 1 mètre est généralement conseillée.
  • La capacité de piégeage n’est effective que dans un sol homogène, si possible recouvert d’une couche de terre végétale. Les terrains fracturés (par exemple les terrains karstiques) sont donc incapables de retenir les polluants.

A quelles conditions peut-on infiltrer des eaux pluviales urbaines ?

L’infiltration des eaux pluviales urbaines présente très peu de risques de pollution pour l’environnement si l’on respecte trois conditions :

  • Eviter d’augmenter la concentration de l’eau de pluie en polluants : l’eau doit donc être infiltrée au plus près de l’endroit où elle tombe (idéalement là où elle tombe).
  • Eviter d’apporter trop de polluants au même endroit, l’élément fondamental étant le rapport entre la surface contributive et la surface d’infiltration qui doit être plus petit possible (idéalement égal à 1).
  • Disposer d’une épaisseur suffisante de sol homogène au-dessus de la nappe phréatique et si possible végétalisé en surface.

Est-ce toujours possible d’infiltrer des eaux pluviales urbaines ?

Une autre crainte est que la capacité d’infiltration du sol soit insuffisante pendant les pluies intenses et que cette solution provoque des inondations.

En réalité, l’infiltration des eaux pluviales urbaines est presque toujours possible d’un point de vue hydraulique, même avec des sols relativement peu perméables. Il s’agit d’une question de dimensionnement, de stockage temporaire ou de délocalisation (transit pour une infiltration en un lieu plus favorable).

Les risques de colmatage existent mais les solutions sont maintenant connues pour y faire face.

Est-ce intéressant de stocker et de réutiliser les eaux pluviales urbaines ?

Infiltrer l’eau permet d’humidifier les sols urbains et de réalimenter les nappes phréatiques. L’eau ainsi gérée est donc conservé pour une utilisation ultérieure. Elle est cependant difficile à mobiliser localement par la suite.

Une autre possibilité consiste à stocker l’eau dans un réservoir pour l’avoir facilement à disposition. Ce réservoir peut-être privatif, par exemple une citerne récupérant les eaux de la toiture, ou collectif, par exemple bassin de stockage constituant une réserve pour des usages municipaux (lavage des rues, arrosage des espaces verts, …).

Il est également possible d’utiliser des solutions décentralisées beaucoup plus innovantes susceptibles d’améliorer la qualité de la vie en ville :

  • stocker l’eau dans des chaussées à structure réservoir de façon à constituer une réserve d’eau pour la végétation urbaine ;
  • stocker l’eau sur des toitures terrasses stockantes pour aider à la climatisation d’été ;
  • etc.

L’intérêt peut être individuel (économies d’eau) ou collectif (diminution des ilots de chaleur urbains), amélioration de la qualité de la végétation, etc.

L’eau de pluie urbaine doit donc être considérée comme une ressource précieuse et non comme un déchet.

Ces solutions sont-elles opérationnelles et sont-elles mises en œuvre ?

Partout dans le monde, depuis une quarantaine d’années, de nouvelles solutions, dites alternatives, se développent, visant à limiter au maximum l’utilisation des réseaux pour gérer les eaux pluviales. Elles peuvent prendre de nombreuses formes : noues, fossés, tranchées, puits d’infiltration, bassin, toitures stockantes, etc. On trouve une multitude de guides techniques qui expliquent comment mettre en œuvre ces techniques alternatives (voir par exemple les sites du GRAIE, de l’ADOPTA, du CEREMA ou le portail sur l’assainissement communal du ministère en charge de l’écologie). Ces solutions feront l’objet d’une question spécifique de Méli Mélo et ne seront donc pas présentées en détail ici.

Les solutions proposées sont extrêmement diversifiées et peuvent s’adapter à tous les climats, tous les types de sol et toutes les formes urbaines (centre-ville dense, zone pavillonnaire, zone d’activités, etc.). Les retours d’expériences sont maintenant nombreux et de plus en plus de bureaux d’études et d’entreprises ont le savoir-faire pour concevoir, fabriquer et exploiter ces solutions nouvelles. Les matériaux et équipements disponibles sont de plus en plus performants. Enfin, la doctrine de l’Etat vise clairement au développement de ces solutions qui sont fortement encouragées par les Agences de l’eau.

Malgré les difficultés et les freins nombreux qui subsistent (peur de la nouveauté, modification nécessaire des méthodes de travail, difficultés de gestion du fait de la diversité des ouvrages et de leur taille restreinte, intérêts économiques divergents, etc.), le développement de ces nouvelles solutions est indispensable et il est aujourd’hui engagé.

Leur mise en œuvre est d’ailleurs devenue la règle dans de nombreuses collectivités, petites ou grandes, qui ont été pionnières dans ce domaine : Communautés urbaines de Lyon ou de Bordeaux, Départements de Seine St Denis et du val de Marne, villes de Douai ou de Montbéliard, pour ne citer que quelques exemples.

Que serait la ville « idéale » en matière de gestion des eaux pluviales ?

Quel est l’objectif à atteindre ?

L’objectif recherché devrait être de rendre la ville « transparente pour l’eau », c’est-à-dire de faire en sorte que le processus d’urbanisation perturbe le moins possible, et idéalement pas du tout, le cycle hydrologique « naturel » [1].

Sur un plan plus pratique, ce grand principe se décline de la manière suivante :

  • Ne pas modifier la part de l’eau qui rejoint la nappe. Pour ceci il est nécessaire de maintenir la capacité d’infiltration des sols, soit au droit des surfaces urbanisées (par exemple en utilisant des revêtements poreux ou perméables) soit à leur proximité immédiate (par exemple en utilisant des noues d’infiltration, des tranchées ou des puits).
  • Ne pas modifier la part de l’eau qui est évapotranspirée par la végétation. Ce principe implique d’une part la nécessité de maintenir de la végétation sur le site, et d’autre part celle de mettre suffisamment d’eau à la disposition de cette végétation. L’utilisation d’espaces verts ou même de toitures végétalisées pour recevoir les eaux pluviales permet une évacuation de l’eau par évapotranspiration. L’eau est ainsi mise au service de la végétation et en retour la végétation joue un rôle actif dans la gestion de l’eau.
  • Ne pas accélérer les écoulements pour la part qui ruisselle. Il faut donc éviter les conduites et développer plutôt des solutions de types fossés, noues, tranchées en s’appuyant autant que possible sur les lignes d’écoulement naturelles (ruisseaux, thalwegs, fonds de vallons, etc.). Il faut également préserver les zones de stockage ou d’infiltration préexistantes. Ceci nécessite des actions d’identification et de planification urbaine de façon à interdire ou limiter l’urbanisation dans ces zones sensibles. Ce type d’actions en faveur de la bonne gestion des eaux pluviales peut également conduire à redécouvrir d’anciens ruisseaux, permanents ou non, qui avaient été canalisés ou busés, à développer et restaurer des zones humides ou des zones naturelles d’expansion de crue.
  • Veiller à une séparation stricte des eaux usées et des eaux pluviales. Les eaux pluviales doivent être déconnectée des réseaux d’assainissement et, autant que possible, valorisées.
  • Diminuer les sources potentielles de polluants. Il faut utiliser le moins possible de produits phytosanitaires ou de sels de déneigement, veiller à une collecte efficace des ordures ménagères, éviter les matériaux de construction susceptibles de relarguer des produits toxiques, etc.
  • Limiter autant que possible les écoulements sur des surfaces urbaines imperméables qui vont être lessivées et érodées par l’eau. Ceci nécessite de gérer les eaux pluviales au plus près de leur point de chute.

Enfin les ouvrages eux-mêmes devront être traités en continuité avec les milieux naturels, de façon à préserver et à développer les corridors aquatiques et s’inscrire dans les trames vertes et bleues.

En pratique les tuyaux ne devraient plus être qu’une exception pour gérer les eaux pluviales.

Comment faire pour aller vers cette ville idéale ?

Il faudra bien sûr du temps et beaucoup d’efforts pour faire évoluer un système qui a mis plusieurs siècles à se constituer. Au-delà de cet impératif de patience, il paraît raisonnable de s’appuyer sur trois lignes directrices principales :

  • Ne pas vouloir reconstruire une ville nouvelle sans tuyau, mais utiliser de manière optimale le patrimoine réseau existant, sans pour autant le développer.
  • Profiter de toutes les opportunités de rénovation urbaine pour déconnecter les eaux pluviales, les ralentir, voire les utiliser.
  • Concevoir tout nouvel espace à aménager de manière alternative, avec une gestion des eaux pluviales totalement intégrée au projet, en terme de fonctionnalité, de choix architectural, de paysage, de biodiversité et d’adaptabilité, et ce très en amont de la conception.

En conclusion, comme le dit Martin Guespereau [2] : « Le tout tuyau, c’est fini ! »

[1Il est à noter que cet objectif de « ne pas modifier » revient à considérer la situation avant aménagement comme la référence à respecter. En réalité, rien ne prouve que la situation avant aménagement soit naturelle (le comportement d’un sol agricole est différent de celui d’un sol naturel), et encore moins que cette situation ne soit « idéale ».

[2Directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, en ouverture de la conférence internationale Novatech 2013, sur les stratégies et solutions pour une gestion durable de l’eau dans la ville.

Pour en savoir plus

  • Document rédigé par Bernard Chocat (LGCIE – INSA Lyon)
  • Relecteurs : Elisabeth Sibeud (Grand Lyon), Céline Lacour (Onema) et Elodie Brelot (GRAIE)

Documents de référence :

  • CERTU (2003). La ville et son assainissement : Principes, méthodes et outils pour une meilleure intégration dans le cycle de l’eau. [CD ROM] CERTU, Lyon ou Ministère de l’écologie et du développement durable.
  • CERTU (2006). L’assainissement pluvial intégré dans l’aménagement - Éléments-clés pour le recours aux techniques alternatives, CERTU, Lyon (France), 156 p.
  • Chéron J., Puzenat A. (2004). Les eaux pluviales : Récupération, gestion, réutilisation, ed. Johannet, Paris (France), 126p.
  • Chocat B., Barraud S., Bertrand-Krajewski J.L. (2010) : « Les eaux pluviales urbaines et les rejets urbains de temps de pluie », Encyclopédie des techniques de l’Ingénieur.
  • Chocat B., Eurydice (1997). Encyclopédie de l’hydrologie urbaine et de l’assainissement. Tec & Doc, Lavoisier, Paris (France), 1136 p.
  • GRAIE. Eléments pour l’élaboration d’un schéma directeur de gestion des eaux pluviales adapté au contexte local

Sites web de référence utilisés pour le texte de synthèse

  • Site du GRAIE, avec beaucoup de documents à télécharger et en particulier les actes des conférences Novatech.
  • Site du CEREMA - direction technique Territoires et Ville (ex CERTU)

Autres sites web, pour trouver de la documentation sur les techniques alternatives