L’essentiel

D’où viennent les pesticides et où les trouve-t-on ?

Les pesticides sont des produits destinés à combattre des organismes considérés comme nuisibles, que ce soit des plantes (herbicides), des champignons (fongicides), des bactéries (bactéricides), des insectes (insecticides) ou d’autres animaux (raticides, taupicides, molluscicides, etc.). On confond parfois les pesticides avec les produits phytopharmaceutiques (ou produits phytosanitaires), même s’il existe des différences entre les deux notions, ces derniers étant plus spécifiquement dédiés à la protection des plantes.
Avec une consommation de l’ordre de 63 000 tonnes en 2011, la France était le quatrième consommateur mondial de pesticides. L’agriculture est de très loin l’utilisateur principal.
On retrouve des traces de pesticides dans la plupart des milieux aquatiques (eaux de surface ou eaux souterraines). Les concentrations atteintes peuvent dans 10 à 30% des cas selon les milieux, dépasser les normes réglementaires. Beaucoup des substances les plus souvent détectées et potentiellement les plus dangereuses du fait de leur faible dégradabilité dans l’environnement sont maintenant interdites.

Quelles sont les effets néfastes possibles des pesticides dans l’eau ?

Les effets de ces substances sur les écosystèmes aquatiques sont avérés. Il peut s’agir d’effets directs dus à la toxicité chronique des molécules ou d’effets indirects dus à l’action des pesticides qui modifie l’écosystème (par exemple altération des populations de certains prédateurs, du fait de la diminution des insectes « nuisibles » qui constituent leurs proies).
Les effets sur la santé humaine ont été démontrés dans le cas de populations exposées professionnellement (agriculteurs en particulier). Les voies de contamination sont principalement la voie cutanée (au moment de la préparation) et la voie pulmonaire. Aucun effet direct n’a, pour l’instant, été démontré en ce qui concerne la santé des particuliers en relation avec la consommation de produits alimentaires contenant des traces de pesticides. Du fait de la plus grande sensibilité des fœtus et des jeunes enfants, il est cependant nécessaire de rester très vigilants. La qualité de l’eau potable est très bien contrôlée et les quantités totales de pesticides que l’on peut ingérer en buvant de l’eau sont extrêmement faibles et sans danger.

Quelle en est l’origine et quels sont les moyens d’action ?

L’origine de ces substances est multiple et assez mal connue. L’agriculture est le principal responsable de la contamination des nappes souterraines. Les sources urbaines et péri-urbaines sont non négligeables pour les eaux de surface et peuvent, sur certains cours d’eau, être du même ordre de grandeur que les sources rurales. La beaucoup plus faible consommation de substances est en effet compensée par des fuites beaucoup plus importantes vers les milieux aquatiques.
Différents moyens ont été préconisés et mis en œuvre depuis plusieurs années, au niveau européen comme au niveau national, pour limiter les concentrations dans les milieux aquatiques. Tous les acteurs s’accordent à dire que les plus efficaces consistent à agir à la source en limitant les quantités épandues dans l’environnement et en contrôlant les fuites vers les milieux aquatiques.
Le plan Ecophyto, mis en place suite au Grenelle de l’Environnement, se donne pour objectif de diminuer par deux la consommation des pesticides d’ici 2018. A mi-parcours, on est encore très loin d’atteindre cet objectif car la consommation a seulement été stabilisée entre 2009 et 2012.

D’où viennent les pesticides et comment arrivent-ils dans les eaux ?

Qu’est-ce qu’un pesticide ?

Il existe de nombreuses définitions du mot pesticide [1]. Nous avons retenu celle directement issue de l’origine étymologique du mot : pesticide vient en effet des mots latins pestis (nuisible) et caedere (tuer). Un pesticide est donc une substance destinée à tuer (par extension repousser ou combattre) un organisme considéré comme nuisible.
Il peut s’agir de lutter contre des plantes (herbicides), des champignons (fongicides), des bactéries (bactéricides), des insectes (insecticides) ou d’autres animaux (raticides, taupicides, nématicides contre les vers, molluscicides…), etc.
L’utilisation des pesticides poursuit différents objectifs. Le plus fréquent consiste à protéger des récoltes ou des plantations. Les pesticides sont aussi utilisés dans des peintures, pour protéger les meubles ou le bois de construction (fongicides), pour débarrasser les maisons de certains parasites (rat, fourmis), pour des raisons de santé ou de confort (crèmes anti-moustiques, shampoing anti-poux, plaquettes antimites), pour protéger nos animaux de compagnie (tiques et puces), etc.
Au sens de la nomenclature européenne des substances dangereuses (règlement CE 304/2003), les pesticides regroupent les produits phytopharmaceutiques [2]
(ou phytosanitaires) et les produits biocides [3].
Dans le langage courant, le terme pesticide est cependant souvent réservé aux produits faisant l’objet d’un usage par pulvérisation ou par épandage et ne s’applique pas aux produits utilisés localement (comme des raticides en pâte ou des boites anti-fourmis).

Quelles sont les grandes familles de pesticides ?

Même si on ne s’intéresse qu’aux pesticides de synthèse en excluant les préparations à base de métaux (en particulier cuivre et soufre), il existe une très grande variété de substances chimiques utilisables pour leurs actions sur les organismes vivants. Le paragraphe suivant a pour but de situer les substances les plus utilisées et les plus fréquemment détectées.

  • Les organochlorés ont été les premiers pesticides de synthèse. Le DDT, synthétisé en 1946 ou encore le chlordécone, tristement célèbre aux Antilles, sont des organochlorés. Ces produits sont très efficaces comme insecticides mais se dégradent très lentement dans l’environnement. La plupart ont été interdits en France. Certains continuent cependant à être utilisés en particulier pour lutter contre les moustiques dans les pays infestés par le paludisme. Depuis, de nombreuses autres familles chimiques ont été utilisées :
  • Les organophosphorés : Utilisés à l’origine comme gaz de combat, ils ont des effets neurotoxiques sur les vertébrés. Ils peuvent être utilisés comme insecticides, désherbants ou comme antiparasitaires. Ils se dégradent assez rapidement dans l’environnement. Le plus connu est le malathion (insecticide et antiparasitaire), interdit en France depuis 2008
  • Les triazines : Le plus connu est l’atrazine. Cet herbicide interdit en France depuis 2003 reste (avec l’un de ses résidus de décomposition : l’atrazine déséthyl) l’une des substances les plus souvent détectées dans les eaux.
  • Les pyréthrinoïdes sont utilisés comme insecticides ou comme répulsifs (en particulier contre les moustiques) ; ce sont des composés de synthèse qui peuvent être très toxiques pour de nombreux organismes mais qui présentent l’avantage de se dégrader très vite dans l’environnement.
  • Les phénylurées sont surtout utilisées comme désherbants. Parmi les plus connues figure le diuron dont l’usage a été limité en France en 2003, puis interdit en 2008 en agriculture. Le diuron est cependant toujours utilisé comme adjuvant de peinture de façade et fait partie des pesticides fréquemment détectés dans les milieux aquatiques.
  • Les acides amino-phosphoriques : Le plus connu est le glyphosate, un désherbant, principalement commercialisé sous le nom de Round Up. Le glyphosate et l’un de ses résidus de décomposition : l’AMPA, font également partie des substances fréquemment détectées.
  • Les carbamates sont utilisés comme insecticides et fongicides. L’un des plus connu est le carbofuran.
  • Les acides phenoxyalcanoïques comme le 2,4-D (célèbre pour avoir été utilisé comme défoliant pendant la guerre du Vietnam) fournissent des désherbants sélectifs ou des fongicides.
  • Etc.

En 2005 en Europe, 489 substances actives, appartenant à environ 150 familles chimiques différentes, étaient encore disponibles (Inra & Cemagref, 2005). Ce chiffre est en train de diminuer notamment suite à des procédures d’homologation plus strictes. Ces substances sont distribuées sous forme de préparations intégrant des adjuvants divers. En France 6 000 préparations commerciales sont ainsi homologuées, mais seules 2 500 sont réellement distribuées.

Quelles sont les quantités utilisées ?

D’après le derniers chiffres de l’UIPP [4], la consommation de produits phytopharmaceutiques en France représentait, en 2011, 62 700 tonnes, dont 13 900 tonnes de cuivre et de souffre qui ne font pas partie des pesticides de synthèse. Ceci faisait de notre pays le quatrième utilisateur au monde après les Etats Unis, le Brésil et le Japon.
Le marché français représente plus de 2 milliards d’euros, c’est le premier d’Europe (cf graphique,issu de l’UIPP).
Ces chiffres doivent cependant être relativisés si on les rapporte à la surface cultivée. Nous utilisions en effet en 2006 environ 4,4 kg de pesticides par hectare cultivé, ce qui était inférieur à la moyenne européenne (4,5 kg/ha) et beaucoup moins que l’Italie (7,6 kg/ha), la Belgique (10,7 kg/ha) ou les Pays Bas (17,5 kg/ha).
On observe une tendance à la baisse du tonnage de substances actives utilisées en France de 1998 à 2011 (cf le graphique,issu de l’IUPP). Il faut noter que cette évolution est essentiellement due à l’amélioration des performances des molécules qui permet d’utiliser des doses de produits plus faibles pour une efficacité identique. Voir à ce sujet le § « Comment évolue l’usage des pesticides ? ».
Les produits utilisés sont différents selon les régions du monde, les usages et selon le type de culture. Dans les pays tropicaux, les insecticides représentent environ la moitié de la consommation, alors que cette part est marginale en France (quelques %). Dans les pays tempérés ce sont les fongicides qui sont les plus utilisés (environ la moitié des tonnages en France).
La part de l’agriculture dans la consommation en pesticides est prépondérante (entre 90% et 96% selon les sources et la définition retenue). Les particuliers viennent en deuxième position (4 à 8%) et les usages publics (espaces verts, infrastructures de transport, etc.) en troisième position (2 à 3%).

Quelles sont les substances que l’on trouve dans les milieux aquatiques ?

Les pesticides sont commercialisés et utilisés sous la forme de préparations. Une préparation commerciale est un mélange de molécules. Outre le (ou les) principe(s) actif(s), on trouve un grand nombre d’adjuvants destinés à faciliter sa conservation ou son utilisation, ou encore à améliorer son efficacité (agent surfactant par exemple). On trouve également souvent des impuretés issues du process de fabrication. Lorsque ce composé est répandu dans l’environnement, il va progressivement se dégrader selon des modes qui peuvent être variés en fonction du milieu dans lequel il se trouve (eau, air, sol). Ce processus de dégradation va lui-même produire de nouvelles molécules qui vont interagir avec celles déjà présentes dans le milieu.
Ce sont donc probablement plusieurs centaines de milliers de molécules, dont certaines sont sans doute inconnues, qu’il faudrait rechercher pour connaître exactement les substances potentiellement polluantes que l’on peut rencontrer dans les milieux aquatiques.
En pratique, seules les molécules actives les plus utilisées et les plus dangereuses ainsi que leurs principaux résidus de dégradation sont recherchés, ce qui ne signifie pas que d’autres ne sont pas présentes. Le rapport CGDD (2013) indique que sur 550 pesticides recherchés en 2011 dans les cours d’eau, 377 ont été détectés au moins une fois, en majorité des herbicides ou leurs dérivés. Deux sont des produits de décomposition et trois sont des substances interdites d’utilisation. Cette étude confirme le bilan effectué sur la période 2007-2009 (CGDD, 2011) .
En France métropolitaine, le glyphosate et l’atrazine (interdite depuis 2003), ainsi que leurs produits de décomposition (AMPA [5] et atrazine déséthyl) sont les substances le plus souvent détectées aussi bien dans les eaux de surface que dans les eaux souterraines. On trouve également souvent du diuron (usage limité depuis 2003, puis interdit en agriculture en 2008).
Dans les départements d’outre-mer c’est le chlordécone (interdit depuis 1993) et ses produits de décomposition qui sont le plus souvent détectés, aussi bien dans l’eau que dans les sédiments.

Trouve-t-on ces substances fréquemment et à quelle concentration ?

En France, on trouve des traces de pesticides dans la plupart des milieux aquatiques, comme le montre le tableau de synthèse suivant. On retrouve ainsi des pesticides dans 91% des points de mesure sur les rivières, 70% sur les eaux souterraines et 75% sur les plans d’eau. Du fait de leur solubilité, ils sont plus fréquemment détectés dans l’eau que dans les sédiments.

Suivi en France (métropolitaine et DOM) 2007-2009RivièresEaux souterrainesPlans d’eau
Nombre de points2 8892 321207
 % de points avec détection de pesticides91 %70 %75 %
Nombre de paramètres recherchés516533485
Nombre de paramètres détectés au moins une fois41322488
 % de paramètres détectés80 %42 %18 %
 % de points avec une concentration totale en pesticides supérieure à 0,5 μg/L21 %5 %11 %
 % de points ayant dépassé la norme réglementaire une année au moins11 %27 %< 1%

L’interprétation des chiffres fournis par ce tableau est délicate. Pour bien les comprendre, il est nécessaire d’avoir en tête la définition des différents seuils de concentration utilisés :

  • Le seuil de détection : c’est la concentration à partir de laquelle on peut assurer avec certitude la présence d’une substance donnée dans l’échantillon, mais pas la quantifier. En 2014, il est de l’ordre de grandeur de 0,001 µg/L [6].
  • Le seuil de quantification : c’est la concentration à partir de laquelle on peut chiffrer la concentration avec une précision acceptable. Il est en moyenne supérieur d’un facteur 10 au seuil de détection (soit de l’ordre de 0,01 µg/L).
  • La norme réglementaire : c’est la concentration maximum admissible pour un usage donné. Elle est normalement fixée de façon à prévenir tout risque pour la santé en cas d’exposition prolongée. En France, on fait généralement référence pour l’eau potable, aux seuils de 0,1 µg/L par substance active et de 0,5 µg/L pour la somme des concentrations de l’ensemble des substances quantifiées (Le seuil réglementaire de potabilisation [7] est fixé à 5 µg/L). Choisis il y a près de 20 ans essentiellement en fonction des capacités analytiques de l’époque, ces seuils arbitraires ont été fondés sur le principe de précaution plus que sur des références toxicologiques établies. La Directive Cadre sur l’Eau (2000/60/CE) a ajouté une dimension environnementale à la préoccupation des acteurs politiques vis-à-vis de la qualité des eaux. Elle vise, notamment, l’atteinte d’un bon état écologique dans les cours d’eau à travers, d’une part, la réduction de la contamination à la source et, d’autre part, la définition de normes de qualité environnementales (NQE) pour les eaux de surface.
  • Le seuil de toxicité : il est fixé par l’OMS (Organisation Mondiale pour la Santé) de façon à prévenir tout risque sanitaire en cas d’exposition courte. Il varie selon les molécules, mais les ordres de grandeur varient généralement entre 1 et 100 µg/L.

Les rivières sont plus touchées que les plans d’eau et les eaux souterraines en nombre de détections et surtout en concentration moyenne. Les normes étant plus contraignantes sur les eaux souterraines (ressource prioritaire en eau potable) que sur les eaux de surface le nombre de dépassement de la norme réglementaire est cependant plus important pour les eaux souterraines (27 %) que pour les cours d’eau (11%).
Le fait de détecter une substance dans un milieu aquatique ne signifie pas que cette présence soit nécessairement dangereuse pour l’environnement ou pour la santé, les concentrations devant être croisées avec les effets potentiels pour approcher le risque associé.

[2Produits phytopharmaceutiques : « (Ce sont) les substances actives et les préparations contenant une ou plusieurs substances actives (…), qui sont destinées à :

  • protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou à prévenir leur action (…) ;
  • exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, pour autant qu’il ne s’agisse pas de substances nutritives (par exemple, les régulateurs de croissance) ;
  • assurer la conservation des produits végétaux (…) ;
  • détruire les végétaux indésirables ou détruire les parties de végétaux, freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux ».

Il faut noter que certains produits phytopharmaceutiques ont d’autres fonctions que de combattre des nuisibles (par exemple améliorer l’aspect des fruits ou des légumes).

[3Produits biocides : « (Ce sont) les substances actives et les préparations contenant une ou plusieurs substances actives(…), qui sont destinées à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l’action ou à les combattre de toute autre manière, par une action chimique ou biologique. »

[4UIPP  : Union des Industries de la Protection des Plantes, les chiffres fournis sont ceux communiqués par les adhérents ; on estime qu’ils représentent environ 95% du tonnage total de pesticides.

[5Il existe d’autres sources pour l’AMPA, en particulier les détergents et certaines lessives.

[61 µg par litre représente une dilution de 1 pour 1 million ; 0,001 µg/L une dilution de 1 pour 1 milliard.

[7Seuil réglementaire de potabilisation  : Seuil au-delà duquel la ressource ne peut plus être utilisée pour fabriquer de l’eau potable.

Quels sont les effets néfastes possibles des pesticides ?

Quels effets ces produits peuvent-ils avoir sur les milieux aquatiques ?

Peut-on imaginer des pesticides sans effets sur les milieux aquatiques ?

Les pesticides organiques de synthèse ont commencé à être utilisés à grande échelle après la seconde guerre mondiale. Très vite des effets secondaires indésirables ont été mis en évidence.
Ces effets sont de deux types : les effets écotoxiques [1] directs et les effets écologiques indirects. En effet, ce n’est pas seulement la toxicité aigüe ou chronique des pesticides qui perturbe les écosystèmes, mais également leur fonction première qui est de tuer ou de combattre certaines espèces considérées comme nuisibles.
Parmi les effets écotoxiques, le plus connu est celui d’accumulation dans la chaine alimentaire. N’étant pas éliminé par l’organisme, la molécule active s’accumule dans le corps et se concentre au fur et à mesure que l’on progresse dans la chaine alimentaire, jusqu’à atteindre dans certains organes des prédateurs finaux (le foie, les organes reproducteurs) des concentrations qui affectent leurs fonctions vitales.
Mais à ces effets écotoxiques directs viennent s’ajouter des effets écologiques dits indirects. Par exemple, un insecticide efficace va éliminer un grand nombre d’insectes. Les oiseaux insectivores vont être privés de leur nourriture habituelle, ce qui va affecter en cascade toute la chaine alimentaire et perturber fortement les écosystèmes.

La présence des pesticides a donc obligatoirement des effets sur les écosystèmes. Ces effets sont cependant difficiles à mesurer, d’autant qu’ils sont souvent masqués ou accentués par d’autres facteurs (présence d’autres polluants, pressions sur la ressource, dégradation des milieux, etc..).

Comment peut-on évaluer les effets écotoxiques directs dus à la présence de pesticides dans les milieux aquatiques ?

Estimer les effets écotoxiques directs des pesticides sur les écosystèmes s’avère extrêmement difficile. En 2014, on utilise régulièrement en France plus de 300 substances actives, incluses dans 2 500 préparations. Chaque préparation contient en outre des adjuvants spécifiques multiples, mais aussi des impuretés. Les espèces sont donc exposées à un cocktail constitué d’un grand nombre de molécules différentes dont les effets sur l’organisme peuvent s‘amplifier (on parle de synergie) ou se compenser (on parle d’antagonisme).
Si l’on sait mal estimer la dangerosité des mélanges, quelques notions essentielles sont cependant utiles pour évaluer la dangerosité de chaque substance prise isolément :

  • Toxicité : Du fait de leur fonction, les pesticides possèdent obligatoirement une toxicité aigüe pour de nombreux organismes vivants. Celle-ci est évaluée par la dose qui tue ou inactive un pourcentage donné d’une population. On la distingue de la toxicité chronique qui correspond à une exposition à moindre concentration mais prolongée sur une longue durée.
  • Spécificité : les mécanismes d’action des pesticides peuvent viser des fonctions biologiques qui n’existent que pour certaines espèces. Plus le nombre d’espèces concernées est faible plus le pesticide sera sélectif et moins il sera dangereux pour les autres espèces.
  • Mobilité : le pesticide est épandu pour avoir une action en un lieu bien déterminé. Plus la part du produit restant dans ce lieu sera grande, meilleure sera son efficacité et moindre sera le risque de pollution.
  • Dégradabilité : l’idéal est que le pesticide perde toute efficacité une fois son rôle rempli. Le pesticide sera donc d’autant moins dangereux pour les écosystèmes qu’il se dégradera vite.
  • Produits de dégradation : la dégradation produit des résidus ; il est donc nécessaire que ceux-ci ne présentent pas de toxicité.
  • Bioaccumulation (ou Bioconcentration) : la toxicité chronique d’une molécule est généralement associée à sa concentration dans un ou plusieurs organes du corps. Cette concentration dépend des doses ingérées, mais également des doses éliminées par l’organisme. Les molécules difficilement excrétées par l’organisme sont donc plus dangereuses car elles s’accumulent progressivement dans l’organisme ; c’est le phénomène de bioaccumulation.
  • Bioamplification : Au risque de bioaccumulation à un stade donné de la chaine alimentaire vient s’ajouter le risque de concentration au fur et à mesure que l’on progresse dans la chaine alimentaire, c’est ce que l’on appelle la bioamplification. La base de données SIRIS gérée par l’INERIS contient des informations assez complètes sur les propriétés des différentes substances utilisées (toxicité, mobilité, dégradabilité, etc.). Le système d’évaluation de l’état des eaux (SEEE) utilisé pour définir le bon état chimique et écologique des milieux aquatiques utilise des normes de qualité environnementale (NQE). La concentration NQE est la concentration d’un polluant qui ne doit pas être dépassée pour ne pas risquer d’affecter la santé humaine ou la qualité du milieu. Le tableau suivant, extrait de Blanchoud et al (2011), fournit des valeurs pour certaines des substances les plus courantes.

Les normes de qualité environnementales (NQE) ont deux origines :
(1) l’INERIS. Ces NQE des substances d’intérêt sont déterminées au niveau national. En France, l’INERIS fait des propositions de valeurs de NQE au ministère en charge de l’écologie via une convention avec l’Onema. La concentration moyenne acceptable correspond à celle de l’eau non destinée à la production d’eau potable.
(2) l’EQS Environmental Quality Standard. Ces NQE sont déterminées au niveau euriopéen, par la commission et en consensus avec les états membres. Elles sont reconnues comme étant des valeurs seuils réglementaires.

Quels sont les effets indirects observés dans les milieux aquatiques ?

Les effets indirects se produisent lorsqu’une espèce est affectée par une substance qui n’est pas toxique pour elle. Il s’agit le plus souvent de la conséquence d’effets directs qui s’exercent sur d’autres organismes et qui viennent par exemple perturber les relations proies-prédateurs ou les phénomènes de compétition.
Le tableau suivant extrait du rapport de synthèse INRA & Cemagref (2005) explicite certains de ces effets indirects.

Effets directs Effets indirects associés
Diminution de l’abondance des proies Diminution de l’abondance des prédateurs
Diminution de l’abondance des prédateurs Augmentation de l’abondance des proies
Diminution de l’efficacité de capture des proies (ex. troubles du comportement des prédateurs) Diminution de l’abondance des prédateurs
Augmentation de l’abondance des proies
Augmentation de la vulnérabilité des proies (ex. troubles du comportement des proies) Augmentation de l’abondance des prédateurs
Diminution de l’abondance des proies
Diminution de l’abondance des prédateurs
Modifications de l’habitat (ex. mort des plantes) Diminution de l’abondance de certaines espèces (ex. disparition de sites de nidification)
Diminution de l’abondance de certains compétiteurs Augmentation de l’abondance de certains autres compétiteurs

Les effets indirects peuvent être décalés dans le temps (voire dans l’espace) par rapport aux effets directs et ils peuvent parfois s’enchaîner (effets en cascade). Ils rendent encore plus difficile l’évaluation objective des effets des pesticides dans les milieux naturels.

Quels sont les risques pour la santé humaine ?

Depuis les années 1980, de nombreuses études mettent en avant l’implication des pesticides dans plusieurs maladies chez des personnes exposées professionnellement à ces substances : cancers, maladies neurologiques, troubles de la reproduction. Ces études ont également attiré l’attention sur les effets éventuels d’une exposition, même à faible intensité, lors de périodes sensibles du développement (in utero et pendant l’enfance). Le rapport de l’INSERM (2013), reposant sur une synthèse bibliographique internationale, fournit des informations précieuses sur ces différents risques.

Quels sont les risques résultant de l’exposition directe aux produits ?

Au-delà des risques liés à des contaminations aigues, résultant d’accidents, de manipulations inappropriées, voire de suicides, le rapport de l’INSERM (2013) met en évidence des risques avérés pour les personnes exposées de façon chronique aux pesticides.

Cancers : Le rapport pointe notamment une augmentation du nombre de cancers de la prostate chez les agriculteurs, les ouvriers d’usines de production de pesticides et les populations rurales (entre 12 et 28% selon les populations). Les substances probablement en cause sont actuellement interdites d’usage.

Maladies neurodégénératives : Le risque de développer une maladie de Parkinson ainsi que certains autres troubles cognitifs augmente chez les personnes exposées professionnellement aux insecticides et herbicides.

Effets sur la grossesse et le développement de l’enfant : Une augmentation significative des risques lors d’une exposition des femmes enceintes ou des très jeunes enfants aux pesticides est probable : risques de fausses-couches, de malformations congénitales, de leucémies, de tumeurs cérébrales, de troubles du développement de l’enfant, etc…

Effets sur la fertilité : Le lien entre certains pesticides qui ne sont plus utilisés (notamment le dibromochloropropane) et des atteintes de la fertilité masculine a été clairement établi ; des incertitudes subsistent en ce qui concerne les pesticides actuellement employés. Le lien entre pesticides et infertilité chez la femme est mal connu et mériterait d’être mieux étudié.

Notons que, en milieu professionnel, la contamination chronique principale semble se produire au moment de la préparation des bouillies ou des mélanges et se fait principalement par la peau (environ 80%). L’exposition par voie respiratoire peut également exister lors de circonstances particulières d’application (fumigation, utilisation en milieu fermé). Il n’existe pas d’éléments indiquant des contaminations dues à la pollution de l’eau.

Quels sont les risques résultant de l’exposition par l’alimentation ou l’environnement ?

Les pesticides sont présents partout dans l’environnement : dans l’air (extérieur et intérieur), l’eau, le sol et les denrées alimentaires (y compris certaines eaux de consommation). L’ensemble de la population est donc exposée de façon chronique.

Comme ces polluants s’accumulent dans l’organisme, c’est la quantité totale de substance active ingérée au cours de sa vie qui constitue un facteur de risque. On le mesure en évaluant une dose journalière moyenne ingérée. Celle-ci doit être inférieure à une dose journalière admissible (DJA). Le risque toxicologique acceptable (qui correspond en général à un sur-risque de 1 chance sur 1 million de développer une pathologie) est celui pris par une personne ingérant tous les jours de sa vie une dose de pesticides égale à la DJA.

La nature de l’environnement et son niveau de contamination font que chaque citoyen est exposé de façon variable et souvent difficile à apprécier. Il semble cependant, selon l’étude de l’ANSES (2010), que l’alimentation constitue souvent la principale voie d’ingestion, en dehors de la manipulation directe des pesticides et l’inhalation lors de leur utilisation.

Les normes sur les différents produits alimentaires sont telles que les doses ingérées restent généralement très inférieures aux valeurs admissibles pour la plupart des citoyens (ANSES, 2010). Ceci semble confirmé par le fait qu’aucune étude n’a encore mis en évidence de relation entre une exposition chronique (autre que professionnelle) aux pesticides et une augmentation de l’incidence d’une pathologie (sauf dans le cas du chlordécone qui semble être responsable d’une augmentation du cancer de la prostate pour l’ensemble de la population exposée aux Antilles).

Il est cependant nécessaire de rester vigilants pour plusieurs raisons :

  • Nous sommes soumis tout au long de notre vie à des cocktails extrêmement variés de substances polluantes diverses. L’effet cumulé de ces substances peut avoir des effets sur le développement de certaines maladies (cancers, allergies, diminution de la fertilité, etc.), même si nous sommes incapables d’incriminer des substances particulières.
  • Les effets de certaines substances ne répondent pas nécessairement aux règles classiques dose-effet utilisées en toxicologie. La seule référence à la Dose Journalière Admissible n’est donc pas nécessairement suffisante.
  • Les expositions aux pesticides intervenant au cours de la période prénatale et périnatale ainsi que lors de la petite enfance semblent être particulièrement dangereuses pour le développement de l’enfant.

Prend-on des risques en buvant l’eau du robinet ?

Etant donnée la façon d’estimer les risques en utilisant la notion de Dose Journalière Admissible, cette question peut être affinée de la façon suivante : Quelle est la contribution de l’eau à l’exposition totale aux résidus de pesticides ?

Cette question est tout à fait légitime. En effet l’eau consommée quotidiennement représente entre un quart et un tiers de la quantité totale d’aliments ingérés.
Ce risque a été étudié de façon détaillée par l’ANSES (2013) à partir des concentrations réelles mesurées, et accessibles à tous, sur 80 000 points de distribution (Qualité de l’eau par communes).

La conclusion de l’étude est que, partout sur le territoire, l’eau de distribution ne contribue que très faiblement au risque de contamination chronique par les pesticides.

La contribution de l’eau à la dose journalière admissible (DJA) est ainsi systématiquement inférieure à 1%, sauf pour deux substances et leurs résidus de dégradation : l’atrazine et le carbofuran (aujourd’hui interdites). Pour ces substances, la contribution à la DJA reste inférieure à 5%.

On peut donc boire l’eau du robinet ou l’eau en bouteille sans aucune inquiétude quant à notre exposition aux pesticides.

[1Un effet écotoxique est un effet toxique qui se manifeste sur l’ensemble d’un écosystème et non sur une espèce isolée.

Quelle est l’origine de ces substances ?

Connaître l’origine des substances que l’on retrouve dans l’eau est essentiel si on veut agir efficacement pour en diminuer les concentrations. Malheureusement, il n’existe pas d’étude de synthèse documentée, sur une large gamme de molécules, explicitant clairement l’importance des différentes sources selon les milieux et il est très difficile de trouver des indications chiffrées, même dans les études scientifiques. L’étude disponible la plus complète est celle faite par le PIREN Seine (Blanchoud et al, 2011).

Quels sont les mécanismes de dispersion dans l’environnement lors des épandages ?

L’utilisateur principal de pesticides étant l’agriculture, il est tout d’abord nécessaire de s’interroger sur les mécanismes de dispersion des produits dans l’environnement lors de leur épandage.
En France, la plupart des pesticides sont appliqués à partir de rampes de pulvérisation. La cible est soit les plantes, soit le sol. Le devenir des substances ainsi appliquées est complexe : une partie reste sur les plantes traitées, une partie arrive au sol immédiatement sous les plantes, enfin une partie importante est dispersée dans l’atmosphère [1] . L’importance relative des différents mécanismes dépend de nombreux facteurs (conditions d’application, couvert végétal, nature du sol, conditions climatiques lors de l’application, propriétés de la substance, etc.). Le schéma extrait de (INRA& Cemagref, 2005) donne quelques ordres de grandeur sur les pertes au moment de l’application.

Une fois arrivés au sol, plus ou moins loin de leur lieu d’épandage, les pesticides vont continuer se transformer et se déplacer :

  • Une partie va se dégrader [2] selon des processus divers : photodégradation dans l’air, sur les plantes et sur le sol sous l’effet du rayonnement solaire ; réactions chimiques avec le substrat ou mécanismes biologiques dus à des microorganismes dans le sol ou le sous-sol.
  • Une partie va se fixer plus ou moins durablement sur les particules de sol [3].
  • Une partie va être entraînée par les précipitations et rejoindre les eaux de surface ou les eaux souterraines.
  • Une partie va être ingérée par des insectes, des vers, des oiseaux, … qui vont les concentrer et les disséminer sur des territoires encore plus vastes.

La diversité des comportements selon les molécules et les conditions explique la difficulté à décrire et quantifier le devenir des pesticides dans l’environnement.

L’épaisseur de la zone non saturée (partie du sol située entre la surface et la nappe phréatique) est un facteur très important pour limiter les transferts vers les eaux souterraines.

Globalement on estime qu’environ 1% des substances épandues finissent par arriver dans le milieu aquatique. Même si ce pourcentage est faible, ces fuites constituent cependant l’une des sources majeures d’apport aux milieux aquatiques du fait de l’importance des surfaces traitées.

L’agriculture est-elle la seule responsable ?

Du fait de la très grande prépondérance de l’utilisation agricole des pesticides (90% à 98% selon les substances), il semble logique de penser que l’agriculture constitue la source principale de pollution des milieux aquatiques.

Cependant, plusieurs études, menées dans différents pays, montrent que la contribution des zones urbaines et péri-urbaines peut être très significative pour les eaux de surface. Les deux exemples cités ci-dessous illustrent cet aspect.

  • Une étude sur quatre bassins versants suisses (Wittmer et al., 2011), a permis de conclure que les flux arrivant aux milieux aquatiques en provenance des zones urbanisées sont aussi importants que ceux provenant des zones agricoles, ceci pour les substances parmi les plus fréquemment rencontrés dans les milieux aquatiques [4] (atrazine, diuron, isoproturon, sulcotrione, carbendazime, etc.)
  • Ce résultat confirme ceux de Blanchoud et al. (2007) qui ont étudié les contributions relatives des zones urbaines et rurales dans la contamination de la Marne par les pesticides. Leur conclusion est que la contribution des zones urbaines (mesurée à l’exutoire des réseaux d’assainissement) et rurales est identique (11 tonnes par an dans les deux cas) alors que les consommations sont extrêmement différentes (4 300 tonnes par an pour les zones agricoles et seulement 47 tonnes par an pour les zones urbaines).

La thèse de Botta (2009) présente une étude très détaillée des différentes contributions sur le bassin versant de l’Orge.

La contribution importante des zones urbaines est due au fait que les résidus qui retombent sur une surface imperméable sont beaucoup plus facilement lessivés et entraînés que ceux qui retombent sur une surface végétalisée. Les taux de fuite vers les eaux de surface sont donc beaucoup plus importants pour les zones urbaines (plus de 10%) que pour les zones rurales (moins de 1%). Il est d’ailleurs possible qu’une partie des pesticides retrouvés dans les eaux urbaines aient été transportés depuis des zones agricoles par les agents atmosphériques (vent, pluie).

La situation est probablement très différente pour la contamination des eaux souterraines, sans doute principalement due aux apports des territoires ruraux.

Quelles sont les autres sources ?

En dehors des fuites associées aux épandages qui sont une source de pollution diffuse, on identifie des sources dites ponctuelles.

La première source ponctuelle qui vient à l’esprit est constituée par les accidents industriels. Le plus emblématique en Europe est l’incendie d’un entrepôt des usines Sandoz près de Bâle dans la nuit du 31 octobre 1986. Cet accident a libéré en quelques heures 1 200 tonnes de pesticides dans le Rhin (plus 2 tonnes de mercure et de nombreux autres contaminants). La presque totalité des espèces aquatiques a été empoisonnée sur plus de 250 km. Ce type d’événement exceptionnel provoque une pollution aiguë des milieux, mais ne contribue sans doute qu’assez marginalement à leur pollution chronique.

Une autre source ponctuelle importante, mais aussi très mal connue, est la négligence : stockage dans de mauvaises conditions, techniques d’application défectueuses, rejets sans précaution de résidus ou d’excédents, rinçage du pulvérisateur et des bidons, etc. Cette source existe aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural.

Holvoet et al (2007) estiment par exemple que, selon les bassins versants, les sources ponctuelles représentent entre 20% et 80% des apports aux milieux aquatiques. Les apports de ce type sont en outre particulièrement dangereux car ils sont souvent à la fois localisés dans l’espace et concentrés dans le temps.

Ce chiffre est cependant à utiliser avec précaution car, selon les études, les apports des stations d’épuration et des rejets urbains de temps de pluie sont ou non pris en compte dans les sources ponctuelles, ce qui rend les comparaisons difficiles.

[1Dispersion atmosphérique : Trois phénomènes distincts sont à l’origine de cette dispersion : l’entraînement par le vent des gouttelettes les plus fines au moment du traitement ; l’érosion éolienne des sols traités dans les jours qui suivent l’épandage ; la volatilisation ultérieure de certaines molécules à partir des plantes ou du sol traité. Les produits concernés peuvent parcourir de très grandes distances et contaminer des territoires très éloignés des zones d’épandage.

[2Dégradation : La capacité de dégradation d’une molécule est mesurée par sa durée de demi-vie, qui représente le temps nécessaire pour que la moitié de la quantité appliquée se dégrade ; elle peut varier de quelques heures à plusieurs années.

[3Adsorption : La capacité d’adsorption est généralement mesurée par le Koc, ou coefficient de partage sol/eau : plus ce coefficient est élevé et plus la molécule aura tendance à être retenue par les éléments du sol.

[4Origine : Même si les pesticides utilisés en zone urbaine peuvent être différents de ceux utilisés dans le monde agricole, il est cependant difficile de connaître l’origine des substances trouvées dans l’eau, car les molécules peuvent exister dans différentes préparations.

Quels sont les moyens d’action ?

Quelle sont les obligations des industriels pour la mise sur le marché de pesticides ?

Aujourd’hui, la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est régie au niveau européen par un règlement de 2009 (n°1107/2009) qui abroge la directive de 1991. Au moment de leur mise sur le marché, les industriels doivent faire la preuve scientifique de leur innocuité à court et à long terme, de leur efficacité sur les organismes nuisibles à contrôler et de leur sélectivité sur la (ou les) culture(s) traitée(s). L’autorisation de Mise sur le Marché (AMM) résulte d’une démarche en deux étapes, avec une approbation au niveau européen, puis une autorisation au niveau national.

En France, l’autorisation de mise sur le marché est notamment fondée sur l’expertise de la Commission d’étude de la toxicité, ainsi que sur plusieurs instances complémentaires composées d’experts désignés, d’agents de l’administration et de représentants de la société civile (associations de consommateurs et associations de protection de l’environnement).

L’AMM impose également des exigences sur l’emballage et l’étiquetage. Elle est valable pour une durée maximale de 10 ans (renouvelable).

Du fait de leur réglementation spécifique et ancienne , les pesticides ne sont pas concernés par la directive européenne Reach qui régit les autorisations des produits chimiques.

Existe-t-il d’autres modèles de production agricole ?

Avant de se poser la question d’un modèle agricole de substitution, il est intéressant de se poser celle de la durabilité de notre modèle actuel.

L’agriculture « industrielle » et intensive développée depuis le milieu du XXème siècle a produit des résultats remarquables, en particulier une augmentation spectaculaire des rendements qui permet aujourd’hui de nourrir 8 milliards de terriens alors que dans les années 1950 on doutait de pouvoir en nourrir plus de 3 milliards.
Ce modèle agricole est cependant remis en cause pour des raisons multiples. Nous ne développerons ici que celles associées à l’usage des pesticides :

  • Les pesticides utilisés sont dangereux pour la santé des professionnels ;
  • Les espèces visées développent des résistances de plus en plus fortes et l’efficacité de certains pesticides diminue ;
  • Les prédateurs naturels des nuisibles visés sont également des victimes indirectes de l’utilisation des pesticides ; leurs populations déclinent et la capacité de lutte naturelle de l’écosystème contre ces nuisibles diminue ;
  • Les effets indésirables des pesticides sur les écosystèmes sont de mieux en mieux connus.

Pour répondre à ces difficultés, d’autres modèles de production agricole sont possibles :

  • L’agriculture raisonnée : il s’agit d’une démarche qui vise à limiter le recours aux pesticides par le raisonnement des traitements en fonction de seuils d’intervention adaptés.
  • L’agriculture intégrée : elle cherche à réduire les risques liés aux parasites ou aux maladies et à devenir moins dépendante des produits phytosanitaires. La lutte chimique est utilisée en dernier recours lorsque les moyens alternatifs ne suffisent pas à limiter les pertes économiques liées à un parasite ou à une maladie.
  • L’agriculture biologique : elle vise à supprimer totalement l’utilisation d’intrants chimiques de synthèse, et en particulier des pesticides.

S’il paraît difficile à court et moyen terme de supprimer totalement l’utilisation des pesticides, il existe donc différents moyens d’en limiter l’utilisation en agriculture.

Il est également possible de limiter leurs transferts vers les milieux aquatiques.

Comment peut-on limiter les quantités de pesticides dans l’eau ?

La stratégie thématique européenne, le plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides de 2004, le plan EcoPhyto 2018 ou encore les programmes pluriannuels des agences de l’eau, préconisent depuis plusieurs années des moyens multiples pour limiter la quantité de pesticides dans l’eau.

Ces moyens de contrôle peuvent être illustrés par un schéma, distinguant le contrôle à la source, les mesures de contrôle agricole et de protection des captages, et enfin le traitement (eau potable ou assainissement).

Il existe aujourd’hui un consensus général sur le fait que la limitation des émissions à la source doit être privilégiée, aussi bien dans les zones agricoles que dans les zones urbaines. Les mesures de contrôle des flux peuvent également jouer un rôle pour prévenir le transfert des pesticides vers les milieux aquatiques. Enfin l’amélioration de la protection des zones de captage, et encore plus celle des traitements de potabilisation, présente surtout un intérêt en terme de santé publique.

Comment réduire à la source les pesticides produits par les zones rurales ?

L’agriculture étant le principal consommateur de pesticides, il est nécessaire d’agir sur cette source. Trois familles d’actions peuvent être envisagées :

  • Réduire les quantités utilisées en production agricole ;
  • Réduire les pertes à l’application ;
  • Mieux collecter les résidus et les surplus, limiter les fuites.

1- Réduire les quantités utilisées en production agricole

Diminuer au maximum la quantité de pesticides utilisée est bien évidemment la solution la plus logique. Il s’agit en effet d’une mesure à la fois profitable pour les agriculteurs, qui réduisent leurs coûts de production, et pour les milieux aquatiques.

Au-delà des démarches plus volontaristes citées plus haut (agriculture intégrée ou biologique), l’agriculture raisonnée vise à diminuer les quantités utilisées, soit en optimisant seulement l’utilisation (réduction des doses ou du nombre d’applications), soit en modifiant les systèmes de cultures.

Plusieurs organismes proposent par exemple des outils d’aide à la décision qui ont pour but d’aider les agriculteurs à raisonner leurs décisions de traitement, en tenant compte de prévisions sur l’évolution des maladies ou des populations de ravageurs, ou encore en fonction des conditions climatiques, sans réduire la productivité.

2- Réduire les pertes à l’application

Diminuer la quantité de pesticides qui s’échappent vers l’atmosphère ou qui ruissellent rapidement vers les milieux aquatiques est encore une stratégie « gagnant-gagnant ». Différentes voies sont possibles pour diminuer les fuites :

  • amélioration du matériel (meilleure précision, dispositifs antidérive, etc.) ;
  • meilleur réglage des buses des pulvérisateurs ;
  • choix mieux approprié des dosages et des conditions d‘application, en particulier en fonction des conditions climatiques ou du développement du feuillage.

La recherche des conditions optimales d’application permet de diminuer au moins de 15% à 30% les doses sans perdre en efficacité.

Une piste également possible consiste à améliorer la formulation des préparations pour faciliter leur applicabilité.

3- Mieux collecter les résidus et les surplus, limiter les fuites.

Les pertes ponctuelles au moment de la préparation ou du rinçage du matériel, ou encore celles dues à un stockage dans de mauvaises conditions peuvent constituer une source importante de contamination. En plus de la sensibilisation et de la formation des agriculteurs, des actions multiples visant à limiter ces pertes sont soutenues par différents programmes ou imposées réglementairement : construction d’aires de remplissage ou de lavage des bidons et des pulvérisateurs, stockage des produits dans un local dédié, collecte des bidons vides et des produits non utilisés, etc..

Comment réduire à la source les pesticides produits par les zones urbaines ?

Les zones urbaines et péri-urbaines constituent une source de pesticides non négligeable vers les eaux de surface du fait d’un taux de fuite élevé. Agir sur cette source permet donc de réduire les concentrations dans les milieux aquatiques, comme l’illustre l’étude sur l’Orge à Athis-Mons (Blanchoud, 2011).

1- Réduire l’utilisation des pesticides par les collectivités et les particuliers

La première famille d’actions consiste à limiter au maximum, et si possible à supprimer totalement l’utilisation des pesticides, et en particulier des herbicides, par les collectivités et les particuliers. Cette mesure est souvent médiatisée sous le nom « zéro phyto », « zéro pesticides » ou en utilisant le jeu de mots « phyt’eau ». De plus en plus de collectivités, appuyées par les agences de l’eau, l’appliquent dans leurs espaces verts ou sur leurs voiries. Au-delà de la sensibilisation et de la formation des personnels, elle nécessite des actions auprès des citadins qui ont parfois du mal à accepter que les « mauvaises » herbes puissent avoir « droit de cité » et prospérer sur leurs trottoirs.

Inciter les particuliers à utiliser moins de pesticides est une mesure de bon sens, à la fois en termes d’émissions vers les milieux aquatiques, mais également en termes de santé publique. Les doses ingérées, soit par la voie pulmonaire au moment de la pulvérisation, soit par la voie cutanée au moment de la préparation ou du rinçage, sont en effet très largement supérieures à celles ingérées en buvant de l’eau contenant des traces infimes de résidus.

2- Mieux collecter les résidus pour réduire les émissions « sauvages »

Il est très difficile de connaître les quantités renvoyées dans l’environnement par des vidanges ou des mises en décharge sauvages de produits périmés ou inutilisés. Tout porte cependant à croire qu’elles ne sont pas négligeables. Le cas du chlordécone aux Antilles est par exemple significatif. On trouve des concentrations très importantes de la substance dans les hauts bassins versants, à des endroits où aucun usage agricole ne peut avoir contaminé les sols. L’explication la plus plausible est la mise en décharge sauvage de bidons au moment de l’interdiction du produit.
Il est donc absolument nécessaire de mieux organiser la collecte et de sensibiliser les citoyens à la nécessité de rapporter leurs produits inutilisés dans les déchetteries après les avoir convenablement triés.

3*- Désimperméabiliser les villes et déconnecter les surfaces imperméables des réseaux d’assainissement

L’origine réelle des pesticides renvoyés par les villes (produits utilisés sur le territoire de la ville ou substances d’origine agricole apportées par les agents atmosphériques) n’est pas encore parfaitement élucidée. En revanche, il est certain que le très fort taux de fuite est dû au caractère imperméable du sol des villes. Les différentes substances ne peuvent en effet pas se fixer de façon efficace sur les sols urbains et sont lessivées au moment des pluies. Réduire les surfaces imperméables et les déconnecter des réseaux de collecte constituent donc des outils efficaces pour réduire les rejets.

Comment limiter le transfert des flux produits par les zones agricoles vers les milieux aquatiques ?

1- Réduire les transferts par ruissellement

La contamination des cours d’eau par les écoulements provenant des parcelles agricoles peut être réduite en modifiant les pratiques de culture de façon à limiter le ruissellement et l’érosion des sols : sillons ou rangées de plantation perpendiculaires à la pente, maintien sur place des débris de récolte, mise en place d’une couverture végétale, etc.

2- Intercepter les flux au plus près de leurs points d’émission

Les zones tampons sont des techniques naturelles simples permettant d’intercepter les flux de pesticides, et de façon plus large les flux de contaminants d’origine agricole. Il peut s’agir de simples bandes enherbées situées à l’aval de la zone cultivée, de bandes boisées, de fossés végétalisés, de bassins secs ou en eau (zones tampons humides artificielles par exemple).

L’efficacité de ces dispositifs est variable, mais généralement d’autant plus grande qu’ils sont situés près des zones d’épandage et intégrés dans une approche globale de gestion territoriale des cultures et des zones tampons : diversité des cultures, répartition en mosaïque dans un parcellaire de taille raisonnable, etc. (Chocat & ASTEE, 2013).

Comment limiter le transfert des flux produits par les zones urbaines vers les milieux aquatiques ?

Développer l’efficacité des stations d’épuration

Il s’agit d’une solution potentiellement efficace pour un grand nombre de polluants que l’on retrouve dans les réseaux d’assainissement. De façon assez spécifique les pesticides semblent assez bien éliminés par des procédés de fixation, par exemple en utilisant du charbon actif ou des zéolites.

Ce type de traitement n’est cependant possible qu’en temps sec (alors que ce sont les périodes de pluie qui apportent le plus de pesticides du fait du lessivage des surfaces). De plus, son coût est important.

Comment limiter la présence des pesticides dans l’eau potable ?

Il s’agit ici de mesures centrées sur la protection de la santé publique, uniquement destinées à limiter la contamination des eaux destinées à la consommation humaine, mais qui constitue de fait une priorité. Deux types d’outils peuvent être utilisés :

  • Protéger les zones de captage ;
  • Améliorer les procédés de traitement de potabilisation.
Cet aspect sera développé dans un prochain dossier de Méli Mélo dédié à la qualité de l’eau du robinet.

Comment évolue l’usage des pesticides en France ?

Issu du Grenelle de l’Environnement, le plan EcoPhyto 2018 se donne comme objectif de réduire progressivement l’usage des pesticides de 50% d’ici à 2018.
EcoPhyto concerne tous les lieux et tous les utilisateurs, qu’il s’agisse des agriculteurs, des collectivités ou des 17 millions de jardiniers amateurs. Il comporte 8 grands axes couvrant un large éventail d’actions relevant de la recherche, de l’expérimentation, du conseil aux exploitants, de la formation des professionnels, de politiques réglementaires et incitatives, etc.

Lors de la mise en place du plan, plusieurs indicateurs de suivi ont été définis. Ces indicateurs sont mesurés chaque année et permettent d’évaluer la façon dont les objectifs sont atteints.

L’indicateur le plus significatif est le « NODU » (Nombre de Doses Unitaires). C’est un indicateur national. Il concerne toutes les cultures. Il vise à mesurer le recours aux pesticides en évitant le biais associé à l’indicateur « tonnage utilisé par an », biais dû à la mise sur le marché de molécules de plus en plus efficaces nécessitant des doses plus faibles de substances. Le dernier bilan connu a été présenté à l’occasion de la réunion du comité de suivi qui a eu lieu en décembre 2013 (Ecophyto, 2013) .

Le « NODU » usages agricoles a diminué en 2012 de 5,7% par rapport à 2011. Cette baisse succède à une hausse de 2,7% observée entre 2009 et 2011, et conduit en fait à une relative stabilité entre 2009 et 2012. L’analyse détaillée de l’évolution des substances montrent l’importance des raisons conjoncturelles. Par exemple, entre 2011, année plutôt sèche, et 2012, année très humide, le recours aux insecticides et aux herbicides a diminué de 11% alors que le recours aux fongicides a augmenté de 6%.

Suite à ce constat, la loi Labbé a été promulguée le 6 février 2014 afin de renforcer le dispositif sur les sources « urbaines » : interdiction d’utilisation de pesticides pour les collectivités en 2020 (avancé à 2016 par un amendement du 26 juin 2014) et pour les particuliers en 2022.

Beaucoup d’efforts devront donc encore être faits si on veut effectivement atteindre les objectifs de réduction visés.

Pour en savoir plus

  • Document rédigé par Bernard Chocat (LGCIE – INSA Lyon)
  • Relecteurs : Nadia Carluer, Véronique Gouy, Guy Le Henaff (IRSTEA), Claire Billy (Onema)

Sites internet

  • Site de l’UIPP : Pour connaître les arguments des industriels des pesticides. Le site contient également beaucoup d’informations sur les statistiques d’utilisation, sur les préparations, sur la réglementation, etc.
  • Observatoire des pesticides : Pour avoir accès aux données sur les pesticides en France et à une excellente base documentaire.
  • Plan EcoPhyto : pour tout connaître du plan écophyto.
  • Site Eaufrance : Donne accès à toutes les statistiques sur l’eau en France
  • Plante et Cité : L’un des nombreux sites donnant des conseils aux jardiniers amateurs pour ne plus utiliser de pesticides.
  • Site du Ministère de l’écologie, en charge, au nom de l’Etat français, de la politique nationale de l’eau en cohérence avec les directives européennes. Site d’informations très complet.
  • portail des sites des agences de l’eau.
  • Site du CNRS- informations à caractère scientifique, présentation pédagogique et très complète.
  • http://www.onema.fr/ : informations scientifiques et techniques sur l’état de l’eau et le fonctionnement des milieux aquatiques

Documents de synthèse

Il existe peu de documents de synthèse sur le sujet. L’un des plus complets et mieux documentés est le document issu du PIREN Seine et publié par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie :

  • Blanchoud H. (Coordinatrice) (2011) : « Les pesticides dans le bassin de la Seine : Comprendre les origines et le transfert des pesticides pour en évaluer l’impact sur l’homme et l’environnement » ; 67pp.

Ouvrages généraux ou articles dans des revues

  • ANSES (2010) : « Exposition de la population générale aux résidus de pesticides en France (synthèse et recommandations du COS de l’ORP) » ; Octobre 2010 ; 365pp.
  • ANSES (2013) : « Evaluation des risques liés aux résidus de pesticides dans l’eau de distribution ; contribution à l’exposition alimentaire totale » ; septembre 2013 ; 215pp.
  • Blanchoud H., Moreau-Guigon E., Farrugia F., Chevreuil M., Mouchel J.M. (2007) : « Contribution by urban and agricultural pesticide uses to water contamination at the scale of the Marne watershed » ; Sciences of the total environment ; 375 (2007) ; 168-179.
  • Botta F. (2009) : « Contamination des eaux de surface du bassin versant de l’Orge par les pesticides : étude de la contribution des rejets urbains et agricoles » : thèse Université Pierre et Marie Curie – UMR Sisyphe ; décembre 2009 ; 249pp.
  • CGDD (Commissariat général au développement durable) (2011) : « Bilan de présence des micropolluants dans les milieux aquatiques continentaux ; période 2007-2009 » ; Etudes et Documents ; N°54 ; 56pp + annexe partie 1 spécifique aux pesticides.
  • CGDD (Commissariat général au développement durable) (2013) : « Contamination des cours d’eau par les pesticides en 2011 » ; chiffres et statistiques ; N°436 ; juillet 2013 ; 76pp.
  • Chocat B. (coordonnateur) & ASTEE (2013) : « Ingénierie écologique appliquée aux milieux aquatiques » ; ASTEE ; décembre 2013 ; 356pp.
  • Ecophyto2018 (2013) : « Faits marquants de l’année 2012 » ; 68pp.
  • Holvoet M.M.A., Seuntjens P., Vanrolleghem P.A. ( 2007) : « Monitoring and modeling pesticide fate in surface waters at the catchment scale » ; Ecological modelling ; 209 (2007) ; 53-64.
  • INRA & Cemagref (2005) : « Réduire l’utilisation des pesticides et en limiter les impacts environnementaux » ; décembre 2005 ; 68pp.
  • INSERM (2013) : « Pesticides : Effets sur la santé ; synthèse et recommandations » ; expertise collective ; 146pp.
  • Wittmer I.K., Scheidegger R., Bader H-P, Singer H., Stamm C. (2011) : « Loss rates of urban biocides can exceedthose of agricultural pesticides » ; Sciences of the total environment ; 408 (2011) ; 920-932.

La plupart de ces documents (en particulier les rapports) sont téléchargeables gratuitement sur un ou plusieurs des sites internet indiqués ci-dessus.