On retrouve dans les milieux aquatiques des concentrations très faibles de résidus pharmaceutiques provenant de médicaments destinés à la consommation humaine ou animale.
L’origine de ces produits est multiple. A l’échelle du territoire, les principales sources sont :
Localement les rejets industriels (industrie pharmaceutique) ou hospitaliers peuvent contribuer fortement à la pollution des milieux aquatiques.
Même si les concentrations dans l’eau sont très faibles, il est démontré que certains de ces résidus de médicaments ont des effets mesurables sur différentes espèces aquatiques (en particulier poissons et batraciens).
Les résidus de médicaments sont donc considérés comme des polluants émergents susceptibles d’affecter la qualité des milieux aquatiques. La vigilance vis-à-vis de ces produits est donc nécessaire.
Si des effets sont possibles sur certaines espèces vivantes, il est logique de se demander si des effets sont également possibles sur l’homme. Même si aucun effet notable n’a pour l’instant (en 2013) été scientifiquement prouvé, plusieurs problèmes récents de santé publique (par exemple la crise du prion et de la vache folle) ont montré que les effets pouvaient parfois apparaître plusieurs années après une éventuelle contamination. La vigilance est donc également nécessaire pour évaluer les risques sur la santé humaine.
La question est particulièrement difficile à traiter car les mécanismes d’action des médicaments à très faibles doses sont potentiellement différents de leurs mécanismes d’action thérapeutique. Il faut en particulier tenir compte des effets à long terme dus à une exposition chronique, aux mécanismes d’accumulation dans la chaîne alimentaire ou encore à de potentiels effets cocktail . Pour ceci, il est indispensable d’acquérir des données fiables, à la fois sur les expositions et sur les impacts sanitaires ou écologiques.
Il serait en particulier souhaitable que les impacts potentiels des médicaments et de leurs métabolites sur les organismes aquatiques soient étudiés avant leur mise sur le marché. Ceci n’est fait que très récemment, et uniquement pour les médicaments nouveaux. De plus, ce n’est généralement pas fait pour les produits issus de leur dégradation.
Au-delà de ces éléments qui interpellent les professionnels de santé et ceux de l’industrie pharmaceutique, la question des résidus de médicaments dans l’eau constitue aussi un enjeu technique pour les professionnels de l’eau et de l’assainissement. Ceux-ci doivent en effet élaborer des stratégies visant à les piéger à la source (collecte séparée par exemple) et/ou développer des procédés épuratoires susceptibles d’arrêter les molécules potentiellement dangereuses dans les stations d’épuration et dans les usines de production d’eau potable.
Elle constitue enfin un enjeu de citoyenneté. Ne pas consommer inutilement de médicaments, respecter les doses et les moments de prise, ne pas se débarrasser des médicaments inutilisés en les jetant dans sa poubelle ou dans son lavabo, constituent des moyens efficaces de limiter les quantités présentes dans les milieux aquatiques. Ceci est bien sûr vrai aussi bien dans la vie quotidienne que dans la vie professionnelle, en particulier dans le monde agricole et hospitalier.
[1] Les molécules actives du médicament sont dégradées par des enzymes, en particulier au niveau du foie (on dit qu’elles sont métabolisées) et utilisées par le corps humain. Il peut cependant arriver qu’une partie des molécules d’origine soient directement excrétées (en général dans les urines ou les fèces), souvent parce que le dosage est trop fort ou parce que les moments de prise sont mal choisis. Lors du processus de métabolisation, la molécule d’origine est transformée par voie biochimique. Les nouveaux produits sont appelés métabolites et une partie peut également être excrétée.
Le terme « résidus de médicaments » regroupe en réalité plusieurs produits de natures diverses :
Les médicaments sources sont bien évidemment très actifs biologiquement dans la mesure où ils ont justement été conçus pour avoir une action sur le vivant. Leurs produits de dégradation (métabolites) sont également souvent très actifs.
Environ 3 000 substances pharmaceutiques sont utilisées dans l’Union Européenne. La molécule de loin la plus utilisée en France est le paracétamol avec 3 300 tonnes par an. Une dizaine d’autres produits dépassent ou approchent les 100 tonnes annuelles.Voir l’Illustration : « Les 10 médicaments les plus vendus (par molécule) en France, 2005 ».
Tous ces produits ainsi que leurs produits de dégradation peuvent se retrouver dans l’eau. C’est donc plusieurs milliers de molécules différentes qui sont susceptibles d’agir sur les espèces sensibles : des analgésiques, des antibiotiques, des anti-inflammatoires, des anti-cancéreux, des hormones, etc..
En pratique seules quelques dizaines de molécules sont suivies de façon régulière et la fréquence avec laquelle les molécules sont détectées est plus symptomatique des produits qui ont été recherchés, ou pour lesquels on dispose de moyens d’analyse suffisamment sensibles, que de ceux qui sont effectivement présents. Pour preuve : presque toutes les familles de médicaments ont été détectées lorsqu’elles ont été effectivement recherchées.
On trouve des résidus de médicaments dans tous les compartiments du cycle hydrologique. En fonction des apports et des phénomènes de dégradation, les concentrations varient cependant beaucoup tout au long du cycle hydrologique et en fonction des spécificités des écosystèmes. Les ordres de grandeur des concentrations dans les différents compartiments sont les suivants :
Dans les urines | 1 mg/L |
Dans les eaux résiduaires (entrée station épuration) | 10 µg/L, soit 1 mg/ 100 L |
Dans les eaux épurées (sortie station épuration) | 1 µg/L, soit 1 mg/ m3 |
Dans les eaux superficielles (rivières, lacs, …) | 10 à 100 ng/L, soit 1 mg pour 10 à 100 m3 |
Dans les eaux de consommation | 1 ng/L, soit 1 mg pour 1 000 m3 |
(Source : Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable, CGEDD, 2010).
mg : milligramme, soit un millième de gramme ; µg : microgramme, soit un millionième de gramme ; ng : nanogramme soit un milliardième de gramme. A titre indicatif, les quantités présentes dans un comprimé sont généralement de quelques dizaines à quelques centaines de milligrammes.
On peut également retrouver des résidus de médicaments dans les sédiments.
Sachant que la quantité de produit actif dans un comprimé est en général de l’ordre de grandeur de la dizaine ou de la centaine de milligrammes, ces concentrations apparaissent en première approche très faibles. Il faut par exemple boire environ 500 000 m3 d’eau potable pour ingérer l’équivalent d’un cachet d’aspirine de 500 mg !)
Les origines des résidus de médicaments sont multiples et il n’existe pas de statistiques précises qui permettent de hiérarchiser clairement les sources selon les familles pharmacologiques.
Illustration 2 : voies d’entrée des résidus de médicaments dans l’environnement ou les différentes sources de contamination par les médicaments (à choisir)
Le rapport du Conseil Général de l’Environnement cite comme sources importantes :
Le rapport du Conseil Général de l’Environnement cite comme sources importantes :
(Voir le schéma illustrant les différentes voies d’arrivée des résidus de médicaments dans les milieux aquatiques).
Les résidus de médicaments rejetés dans nos excrétas (urine, fèces) constituent très probablement la source principale pour la plupart des produits. Les concentrations dans les eaux résiduaires urbaines en entrée de station d’épuration correspondent en effet sensiblement aux concentrations mesurées dans les urines multipliées par le rapport entre le volume journalier des urines et le volume total des eaux rejetées. Ces rejets sont épurés et une partie des molécules actives peuvent être arrêtées au niveau de la station d’épuration, mais pas toutes (voir encadré sur l’efficacité des stations d’épuration).
En France, de gros efforts ont été faits pour encourager les particuliers à rapporter leurs médicaments non utilisés dans les pharmacies. CYCLAMED, éco-organisme agréé par l’Etat et chargé d’assurer la collecte des médicaments non utilisés, indique ainsi que 75% des médicaments non utilisés sont collectés et détruits. Malgré tout, des quantités non négligeables (plusieurs milliers de tonnes) sont encore éliminées avec les ordures ménagères et plusieurs centaines de tonnes (peut-être 1 000 tonnes) sont déversées dans les toilettes ou les lavabos.
Le « rejet zéro » paraît très difficile à atteindre dans les installations industrielles de production de médicaments (eaux de process, eaux de lavage ou de vidange, etc.). Même si les pertes sont minimes, la grande quantité de produits fabriqués ou manipulés entraîne des pertes significatives vers l’environnement. A l’échelle globale cette contribution est probablement faible, mais les effets peuvent être très significatifs dans les milieux aquatiques immédiatement à l’aval des installations.
Globalement, il semble que les établissements de soin ne constituent pas la source principale, sauf pour certains médicaments réservés à un usage hospitalier (anesthésiques, anticancéreux) pour lesquels la contribution aux apports environnementaux pourrait être de 40 à 60%.
Des médicaments sont utilisés en élevage à des fins thérapeutiques mais également avec d’autres objectifs (favoriser la croissance, traitement préventif, etc.). Les résidus de médicaments issus de l’élevage peuvent rejoindre l’environnement soit directement par le biais des excréments animaliers dans le cas du pâturage, soit par épandage du fumier ou des lisiers. Contrairement aux excrétas humains, il est très rare que ces produits soient épurés avant leur rejet. Pendant longtemps les éleveurs ont fait par exemple un usage important d’antibiotiques sous forme d’additifs alimentaires. En 1999, on estimait ainsi qu’en Europe la consommation animale était du même ordre de grandeur que la consommation humaine. Depuis l’usage des antibiotiques a été réglementé. Malgré tout, l’élevage est probablement une source très importante de résidus pour cette classe de médicaments, comme pour d’autres.
Les antibiotiques sont également utilisés en complément alimentaire pour les poissons d’élevage. Cette forme d’élevage pose un problème spécifique dans la mesure où une proportion très importante, estimée à 80%, des produits utilisés est rejetée directement dans le milieu aquatique (excréments et nourriture non consommée). La contribution globale aux apports est faible, mais les effets locaux peuvent être très importants.
Plusieurs études ont mis en évidence des altérations de populations aquatiques reliées de façon certaine à la présence des substances actives dans l’eau. On peut par exemple citer :
Plusieurs études menées sur des espèces de poissons différentes (vairon, poissons zèbres), ont montré des effets extrêmement marqués sur la reproduction (féminisation des mâles, diminution de la fertilité des œufs, etc.) pour des concentrations en ethinyl-estradiol inférieure au ng/L, soit 1 mg de produit actif pour 1 000 m3 d’eau (l’ethinyl-estradiol est l’œstrogène le plus utilisé au monde dans les pilules contraceptives).
De nombreux autres exemples sont cités sur internet ou dans la presse. Il est cependant extrêmement difficile d’apporter la preuve formelle de la relation de causalité entre l’exposition aux résidus de médicaments et la dégradation observée des populations d’organismes aquatiques.
Deux méthodes principales sont utilisées pour étudier les conséquences de la présence d’un produit sur les écosystèmes :
Du fait de la complexité de telles études, les données de toxicité chronique sont actuellement peu nombreuses. On trouvera dans l’article de Collette-Bregand et de ses collègues de l’Ifremer une synthèse très intéressante des études les plus significatives.
En revanche beaucoup d’effets sont suspectés dans la mesure où les tissus et organes cibles visés par les médicaments chez l’homme ont souvent des équivalents chez beaucoup d’espèces sauvages.
La mise en évidence de la relation de causalité est rendue également difficile par le fait que les mécanismes d’action des substances actives sur les organismes vivants sont complexes.
On s’intéresse en effet à l’exposition prolongée d’un organisme à un cocktail de molécules qui sont chacune susceptible d’interférer avec l’une des chaines biochimiques qui lui permettent de se développer, de se reproduire, ou simplement de survivre.
Si l’étude de la toxicité aigüe d’un produit est bien maîtrisée, il n’en est pas du tout de même de celle de sa toxicité chronique. Par ailleurs, tout organisme vivant est exposé en permanence à un grand nombre de substances qui interagissent avec lui-même, mais aussi entre-elles. L’origine de ces substances est très diverse, naturelle ou artificielle, et les résidus de médicaments ne constituent que l’une des pièces du puzzle. Il est donc difficile de séparer l’influence des résidus de médicaments de l’influence des autres polluants.
Même si l’on ne s’intéresse qu’aux résidus de médicaments, différents éléments doivent être pris en compte :
Les risques pour l’homme sont à la fois directs et indirects.
Le principal risque indirect est lié au développement de souches de bactéries résistantes aux antibiotiques. Ce risque est réel et des mesures ont été prises pour limiter la présence de résidus antibiotiques dans les milieux aquatiques (en particulier réglementation, voire interdiction, de leur utilisation comme complément alimentaire dans l’élevage des animaux).
Les risques directs sont liés à l’exposition chronique de l’homme aux résidus de médicaments, par contact avec l’eau ou par consommation d’eau et/ou de poissons. Il a été démontré que les doses susceptibles d’être ingérées dans le « pire cas » restaient éloignées des doses thérapeutiques. Le risque direct semble donc faible.
Malgré tout, des effets toxiques restent possibles du fait du caractère chronique de l’exposition, des risques d’accumulation dans la chaine alimentaire et dans le corps humain et de potentiels effets cocktail. Ce risque est d’autant plus important que l’exposition existe à chaque âge de la vie et que par exemple les bébés et les enfants peuvent être extrêmement sensibles à certaines molécules. La vigilance est donc nécessaire.
Du fait de l’importance relative des sources, il est indispensable de conduire en parallèle différents types d’actions, mobilisant l’ensemble des acteurs et s’appuyant sur des outils et développements réglementaires, technologiques, pratiques et culturels :
L’efficacité des stations d’épuration pour éliminer les résidus de médicaments :
Une étude de synthèse publiée en 2012 (Verlichi et al., 2012) et portant sur 118 molécules thérapeutiques a montré que l’efficacité des traitements secondaires traditionnels dans les stations d’épuration était très variable et souvent insuffisante pour éliminer de façon satisfaisante les résidus de médicaments.
Ces résultats ont été confirmés par les projets de recherche AMPERES et ARMITIQ pilotés par l’IRSTEA avec un financement de l’ANR [2]. Ces projets se sont attachés à l’étude des micropolluants, en particulier les résidus de médicaments, dans les eaux usées urbaines et les boues en période de temps sec. Les principaux résultats sont les suivants : les traitements secondaires traditionnels sont souvent insuffisants pour éliminer la plupart des résidus de médicaments ; en revanche certains traitements tertiaires peuvent être efficaces pour beaucoup des substances étudiées, (rendement épuratoire de 60 à 80%) ; certaines molécules sont cependant difficiles à éliminer (par exemple l’aspirine) et nécessitent un traitement couteux par osmose inverse ou par charbon actif.
Ces actions utilisées de façon conjointe peuvent diminuer de façon importante les concentrations dans les milieux aquatiques. Elles ne peuvent cependant pas éliminer totalement tous les résidus.
Si certaines molécules présentent des risques avérés pour la santé publique ou pour la qualité des milieux récepteurs et qu’il est nécessaire de diminuer les concentrations d’un facteur 10 ou davantage, la seule possibilité consiste à limiter la prescription de cette molécule, par exemple en recherchant un produit de substitution. Ceci montre la nécessité de mieux connaître le devenir et les effets effectifs des résidus de médicaments dans l’eau pour des concentrations correspondant à celles observées (10 à 100 ng/L). Les recommandations du rapport du CGEDD préconisent ainsi de rendre ces études obligatoires non seulement pour toute nouvelle autorisation de mise sur le marché, mais également pour l’ensemble des médicaments existants.
Dans le cadre de la lutte contre les pollutions dues aux micropolluants, au niveau européen, une liste de substances dites "prioritaires" (dont les rejets sont à réduire) ou "prioritaires dangereuses" (dont les rejets sont à supprimer) est établie et régulièrement actualisée. 3 médicaments entrent en 2014 dans une liste de "vigilance" pour inciter les états à faire un suivi de la présence de ces substances dans l’environnement.
Les ministères en charge de l’écologie et de la santé ont initié en 2010 et 2011 des plans d’action nationaux de lutte contre les micropolluants dans l’environnement, avec un plan spécifique sur les résidus de médicaments dans l’eau. Ces plans sont structurés selon trois grands axes : améliorer les programmes de surveillance des milieux et des rejets et évaluer les risques, réduire les émissions des micropolluants les plus préoccupants et définir des mesures de gestion, développer les connaissances et renforcer la veille prospective relative aux contaminations émergentes.
En France, les pouvoir publics investissent aujourd’hui dans le suivi et la recherche avant d’envisager l’engagement des collectivités dans des investissements conséquents pour traiter les résidus de médicaments dans l’eau et dans les boues issues du traitement de l’eau.
Selon cette orientation, un appel à projet conjoint à la direction de l’Eau du Ministère de l’Ecologie, à l’Onema et aux agences de l’eau a été lancé en 2013, pour encourager les collectivités et les scientifiques à travailler ensemble et tester, grandeur nature, des actions allant dans le sens des plans d’action.
[1] Les œstrogènes (ou estrogènes) sont des hormones naturellement sécrétées par l’ovaire et assurant la formation, le maintien et le fonctionnement des organes génitaux et des seins chez la femme. Ils entrent dans la composition de certaines pilules contraceptives et sont également prescrits pour différents troubles de la ménopause.
Il existe notamment deux excellents documents de synthèse en français :
Et un en anglais :
On peut également consulter :